A l’instar de Terrence Malick, Roy Andersson est un cinéaste rare, le réalisateur suédois n’ayant tourné que cinq longs métrages en un peu plus de 40 ans (plusieurs fois primés à Berlin, A Swedish Love Story, son premier opus, remonte à 1970). Qu’à cela ne tienne, une poignée de films auront suffi à imposer son style inimitable (au petit jeu des comparaisons, on ne voit jamais que Jacques Tati avec qui lui trouver quelque accointance), affiné depuis Chansons du deuxième étage, en l’an 2000, le premier volet de sa trilogie consacrée à la condition humaine, que conclut aujourd’hui A Pigeon Sat on a Branch Reflecting on Existence. Une scène suffit d’ailleurs généralement à identifier son univers, postulat que permet encore de vérifier ce nouveau film qui lui vaut la reconnaissance définitive sous la forme d’un Lion d’or amplement mérité. Cette scène d’ouverture se situe, pour le coup, dans un musée d’histoire naturelle, où un homme, le visage fardé de blanc -figure récurrente de son cinéma, que l’on dirait peuplé de morts-vivants débonnaires, s’adonne à la contemplation des vitrines du département ornithologique, sous le regard exaspéré de sa femme, trop pressée d’en finir. L’expression, déjà, d’une sensibilité où prévaut l’humour absurde, quand il ne se fait pas désespéré -après tout, le film embraye avec « Trois rencontres avec la mort », en un enchaînement hilarant dont l’on se gardera ici de révéler le détail.

Le cinéma d’Andersson semble, en effet, prendre le pouls d’une humanité dépressive, entreprise conduite, toutefois, avec une rare élégance, tant dans son ton que dans sa forme. Revendiquant l’influence de la peinture -il cite Goya, Bosch, Brueghel ou encore Otto Dix-, le réalisateur de Göteborg compose ses films comme des tableaux successifs -il y en a 39 dans A Pigeon-, alignant des saynètes comme autant de plans-séquences au cadre fixe. « A mes yeux, couper n’est pas nécessaire« , explique-t-il, prenant le contre-pied de la « mise en scène industrielle » telle qu’elle a cours aujourd’hui. Privilégiant le langage de l’image sur les dialogues, et refusant la facilité d’une narration linéaire, il y a là une démarche que l’on qualifierait volontiers d’anachronique si elle ne traduisait une vision kaléidoscopique du monde aussi singulière qu’aiguisée. Loufoque et excentrique, le petit monde poétique de Roy Andersson n’en enregistre pas moins les vibrations de l’époque avec acuité, traduisant, sous ses dehors passablement exubérants, une nature inquiète mais bienveillante, feignant de s’amuser sinon d’ignorer la dérive de l’instant –« heureux d’entendre que tout va bien », en effet.

J.F. PL.

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