LES VISAGES DE JEANNE D’ARC

La Passion de Jeanne d'Arc de Carl Theodor Dreyer (1927).

Entre Jeanne d’Arc et le 7e art, il y a comme une complète évidence, l’histoire de l’une épousant celle de l’autre depuis ses balbutiantes prémices. Quelques-uns des plus grands cinéastes du XXe siècle se sont ainsi emparés du destin fracassé de la Pucelle d’Orléans, mère de la nation française sacrifiée en hérétique sur l’autel infamant des passions humaines -on ne parle bien sûr pas ici de Luc Besson, gros nounours coupable en 1999 d’un nanar guerrier englué dans une fascination moins mystique que pompière pour sa muse d’alors, Milla Jovovich. Dès 1900, c’est d’abord Georges Méliès lui-même qui y va d’un court métrage d’une dizaine de minutes longtemps tenu comme perdu mais dont une copie coloriée au pinceau fut retrouvée au début des années 80. Seize ans plus tard, Cecil B. DeMille, le futur réalisateur de Cléopâtre et des Dix Commandements, se fend d’un Joan the Woman où le destin de Jeanne d’Arc, combattante d’origine modeste et rurale, fait écho à celui des poilus d’alors. En 1948, soit quelques mois à peine avant sa mort, Victor Fleming (The Wizard of Oz, Gone with the Wind) met quant à lui un terme à sa carrière avec une Joan of Arc qui prend les traits d’Ingrid Bergman. Laquelle persiste et signe devant la caméra de son époux Roberto Rossellini six ans plus tard dans Jeanne au bûcher, adapté d’un oratorio de Paul Claudel. C’est Jean Seberg qui, dans la foulée, incarnera la Saint Joan d’Otto Preminger (1957) tandis que, plus proche de nous, Sandrine Bonnaire fera une inoubliable Jeanne la Pucelle pour Jacques Rivette (1994).

Aux racines du mystère

Si le Jeannette de Bruno Dumont risque bien de ne ressembler à aucun des portraits précités, il est néanmoins tentant d’évoquer à son égard l’ombre tutélaire et conjuguée de Carl Theodor Dreyer et Robert Bresson, soit deux des influences majeures et avouées du natif de Bailleul quand il entre en cinéma comme on rentre dans les ordres au mitan des années 90. Dans La Passion de Jeanne d’Arc, en 1927, Dreyer, cinéaste du visage, aborde la condamnation de son héroïne comme une autre passion du Christ. Bresson, lui, se plonge avec un immense émerveillement dans la transcription des minutes du procès de Jeanne, document historique au service duquel se fonde sa mise en scène dans l’idée d’approcher le mystère au plus près (Procès de Jeanne d’Arc, 1962). Mystère, le grand mot est lâché, qui reste bien sûr et invariablement l’obsession de Bruno Dumont au fil de ses mues successives: « Le livre que Péguy écrit au début du XXe siècle s’appelle Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc. Il en offre une vision très poétique, très lyrique. Et moi j’avais envie d’envolées justement. Le film s’appelle Jeannette pour la prendre très tôt, plus tôt que chez Péguy. Je cherche à comprendre comment une petite fille tout d’un coup devient Jeanne d’Arc. Il est où le déclic, l’éveil à la vie spirituelle, à la grâce? C’est ça le mystère. Parce qu’après, Jeanne d’Arc, son histoire on la connaît. On sait comment ça se termine. Mais on ne sait pas forcément comment ça commence. Et c’est ça, moi, qui m’intéresse. Comment ça commence. »

N.C.

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