De Nuri Bilge Ceylan. Avec Yavuz Bingöl, Hatice Aslan, Ahmet Rifat Sungar. 1 h 45.

Sortie: 18/03.

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Les phares d’une voiture balaient le noir de l’écran. Au volant, un homme lutte contre le sommeil; le bruit d’un choc se fait entendre dans la nuit, bientôt suivi par la fuite, sur une route de campagne, alors qu’un corps inanimé gît dans la pénombre. Le lendemain, un téléphone sonne. Candidat aux élections toutes proches, le conducteur demande à son chauffeur de bien vouloir endosser la responsabilité de l’accident à sa place, lui promettant espèces sonnantes et trébuchantes en échange de sa discrétion et d’un séjour de quelques mois derrière les barreaux. Soumis, l’autre accepte, plantant là sa femme et leur grand fils, sans guère plus d’explications que la promesse d’un retour prochain.

Simple péripétie, expédiée en quelques plans magistraux à peine? Voire. Ce faisant, l’histoire de cette famille modeste a basculé: entre le politicien et la mère débute en effet une liaison aux motivations incertaines. Le premier d’une série de mensonges qui vont bientôt (dés)unir les différents protagonistes. Lesquels, plutôt qu’affronter la vérité – à moins qu’ils ne soient incapables de la formuler – vont préférer, tels les trois singes qui donnent son titre au film, ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire…

Au départ de cette trame, Nuri Bilge Ceylan signe un portrait de famille au bord de l’implosion, et une méditation profonde sur la nature humaine et les prisons mentales qui nous hantent. En prise sur l’âme, voilà un mélodrame vibrant de sentiments exacerbés, traduisant jalousie, lâcheté, trahison, pardon et autres humeurs attachées à notre condition, dans un mélange de violence et de sourde intensité.

Film noir existentiel

A cette observation subtile des comportements, Ceylan apporte sa touche, singulière et d’une stimulante richesse. Cette manière, ici, de se jouer d’entrée des genres, en faisant converger film noir et drame existentiel. Cet art, aussi, de poursuivre une démarche de formaliste, conjuguant à l’imposante densité du propos, une stupéfiante beauté formelle. Si le dispositif adopté est, ici, quelque peu plus démonstratif que dans ses films antérieurs, aucun effet gratuit, pour autant. De l’étroit appartement, sis entre voie ferrée et bord de mer, à une tonalité étouffante, tout semble contribuer à la claustration des personnages. Soit le leitmotiv d’une mise en scène qui, tendue encore vers le hors champ tout en privilégiant le non-dit, impose la puissance même du cinéma. Non sans s’appuyer aussi sur diverses fulgurances – ainsi, par exemple, d’une incroyable scène de rupture, d’une sauvagerie et d’une vérité accrues encore par la distance imposée par le cinéaste.

Formidable film donc, justement récompensé du prix de la mise en scène lors du dernier Festival de Cannes. Et qui, pour ne rien laisser au hasard, ne cherche pas à faire sens à tout prix, mais produit une musique trouvant un écho durable chez le spectateur. A l’instar de celle, incongrue, d’un GSM qui, chaque fois qu’elle résonne à l’écran, semble devoir sceller un peu plus le destin des protagonistes, comme pour mieux laisser ouvert, magie du cinéma, un appréciable champ des possibles.

J.F. PL.

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