Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

UN CASTING DE CHOIX POUR DIX CHANSONS ÉGALEMENT PARTAGÉES ENTRE REPRISES ET ORIGINAUX, LE TOUT NOURRI D’UN FORT SENTIMENT BLUES. UNE RÉUSSITE.

Yusuf/Cat Stevens

« Tell’Em I’m Gone »

DISTRIBUÉ PAR SONY MUSIC

8

Notre camarade Jean-Louis Murat, toujours prêt à en raconter une bien bonne (« J’ai dîné avec John Lee Hooker à Clermont-Ferrand quand j’avais quinze ans »… ), lâchait dans le Focus du 10 octobre cette phrase élastique: « Il ne faut jamais s’éloigner à plus de deux pas de la maison du blues. » Aphorisme taillé pour le nouvel album de Yusuf/Cat Stevens (faudrait qu’il se décide… (1)), baignant largement dans le jus de Mississippi. On connaît la bio agitée du chanteur anglais, fils de restaurateur chypriote et de mère suédoise: une fabuleuse carrière de pop-star interrompue fin des 70’s pour un gap de 27 ans (!), conclu par la parution de l’album An Other Cup en 2006. Avec controverses liées à sa conversion à l’islam et des positions ambiguës sur la fatwa Salman Rushdie. Tout cela semble loin sur ce disque coproduit par Rick Rubin, réputé pour son art du dépouillement. Le véhicule blues et rhythm’n’blues n’est pas une surprise vu le CV de l’intéressé, Stevens passant sa jeunesse à Soho, bercé par les Beatles autant que par Muddy Waters ou Leadbelly. Il y revient donc après quasi cinq décennies pop-folk, ce qui, d’emblée, donne un allant vitaminé aux chansons.

Traditionnel poisseux

Pas que Cat Stevens transfigure le genre -malgré son bagage mystique-, mais il en retient toute la sensualité âpre et une forme de légèreté, caractéristiques insensibles aux caprices de la mode. Pour revenir à la matrice et se charger d’électricité, Stevens invite des musiciens qui ont ces qualités naturelles d’être un peu hors du temps, tout en incarnant une filiation à la tradition. Son contemporain et brillant guitariste Richard Thompson, le coco Will Oldham et Matt Sweeney, déjà convoqué par Rubin pour l’album rédemption de Neil Diamond. Sans surprise, ce sont les Touaregs de Tinariwen qui tricotent au mieux leur présence dans une poignée de titres d’emblée identifiables par leur spleen sahélien. C’est le cas de You Are My Sunshine, vieillerie d’avant la Seconde Guerre mondiale, et de la plage titulaire, réarrangement d’un traditionnel poisseux illuminé par les guitares lancinantes des susnommés nomades. Superbe. Si l’album prend une injection d’americana, le talent de Stevens jette des ponts qui capillarisent son propre ADN: ainsi, la reprise d’un titre de 1971 plutôt obscur du bluesman Edgar Winter devient une madeleine à la Jackson Browne. Les berceuses british ayant fait son triomphe ne seront pas totalement oblitérées: la nostalgie seventies imprègne Doors et plus encore Cat & The Dog Trap qui, en sachant qu’I Love My Dog fut le premier tube de Cat en 1966, sonne comme une relecture de sa propre vie, cohabitation semble-t-il conflictuelle du chien et du chat.

(1) …DE SON VRAI NOM, STEVEN DEMETRE GEORGIOU.

EN CONCERT LE 09/11 À FOREST-NATIONAL.

PHILIPPE CORNET

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