Les maux bleus

© Hannah Assouline / Opale / éditions Rivages

Le treizième opus de Hugues Pagan est un grand roman noir, âpre et rugueux, bercé par une déchirante mélancolie.

 » C’était l’un de ces après-midi de fin novembre, à la fois lumineux et glacé, mais dont on devinait bien qu’il avait cessé de tenir à son apogée et qu’à présent, il ne lui restait plus qu’à décliner jusqu’à la fin du soir« , annonce d’entrée de jeu celui que François Guérif, fondateur de l’écurie Rivages/Noir, décrit comme  » la grande révélation du roman noir français après Jean-Patrick Manchette« . En une phrase, celle qui ouvre le crépusculaire Le Carré des indigents, Hugues Pagan -bientôt 74 barreaux- met une rouste à tous les apprentis polardeux de France et de Navarre. Après une pause de 20 ans en librairie de 1997 à 2017 pour raisons diverses (sphère perso) et variées (scénarios pour la télévision), l’auteur de l’ultime et définitif Dernière station avant l’autoroute (1997) revenait à son meilleur avec Profil perdu (2017). Avec sa nouvelle livraison, qui se lit tout en introspection comme on écouterait un disque de Duke Ellington ou de Memphis Slim, une boisson forte et ambrée à la main, l’ancien flic (25 ans d' »Usine ») né, comme Camus, en Algérie, réactive son personnage emblématique, l’inspecteur principal Claude Schneider, pour la quatrième fois.

Les maux bleus

Hypnotique et éthéré

Ce nouveau prequel -Schneider est tué par Pagan dès Dans une voiture solitaire (1992)- se déroule en 1973, six mois avant l’accession à l’Élysée de Valéry Giscard d’Estaing. Hanté par la guerre d’Algérie et par un amour perdu, Schneider traîne son spleen dans la ville de province où il a grandi, ses Ray-Ban d’aviateur sur le nez, son éternelle Camel vissée aux lèvres et les mâchoires qui grincent avec les amphétamines. Le pianiste occasionnel qu’est Schneider et son gang auront fort à faire suite à la découverte du corps sans vie d’une adolescente, fille d’un modeste cheminot. Sauf que Schneider ne lâche rien, c’est bien connu. Il tisse sa toile avec minutie, emboîte les pièces tant et si bien qu’avec lui, un plus un ne feront jamais trois mais trois plus trois égaleront toujours six. Ce qui ne l’empêche pas de nourrir -c’est une constante- une haine viscérale envers le racisme et le fascisme ordinaires et les jeux de pouvoir qui vérolent sa hiérarchie.

Comme toujours chez Pagan, outre un style hypnotique et jazzy dont on se surprend à relire certaines phrases, une intrigue en entraîne une autre en mode dominos. Si la tonalité de ce nouveau roman est plus désenchantée, mélancolique et amère que dans Profil perdu, il est aussi et surtout question d’amour. Au point qu’on en vient à se demander si l’entièreté de l’oeuvre de cet immense écrivain ne parle finalement pas que de cela…

Le Carré des indigents

De Hugues Pagan, éditions Rivages/Noir, 384 pages.

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