Retrouvant Christophe Honoré, son réalisateur des Chansons d’amour, Chiara Mastroianni incarne dans Non ma fille tu n’iras pas danser une mère égarée dans le tourbillon de l’existence.

Tout naturellement, le rendez-vous a été fixé au Panthéon, cinéma des abords immédiats de la Sorbonne où une partie de la profession a désormais ses habitudes, dans le confort d’un salon décoré avec goût par Catherine Deneuve. S’agissant de Chiara Mastroianni, on comprendra donc d’autant mieux qu’elle s’y sente chez elle – du reste est-on d’abord séduit, alors qu’elle vient de débouler souriante, par son naturel et sa simplicité.

Non ma fille tu n’iras pas danser, son troisième film avec Christophe Honoré (voir notre critique en page 36) – après de mémorables Chansons d’amour et une apparition dans La belle personne -, modèle une image inédite de l’actrice. Elle y trouve un vrai premier rôle, et incarne, dans un mélange de fragilité et de détermination, Léna, une mère qu’une récente séparation a livré, titubante, aux tourbillons de l’existence, ballottée au gré de ses propres contradictions et des projections de son entourage. « Le personnage de Léna a quelque chose de vraiment de notre temps, relève l’actrice, en écho à une réflexion de Honoré, considérant qu’elle ne serait pas advenue dans le cinéma français d’il y a 10 ans. Ce n’est pas comme cela que l’on avait envie de filmer les mères, et encore aujourd’hui, il y a des gens que dérange la façon dont ce portrait de mère est dépeint. Peut-être qu’elle s’inscrit plus dans notre époque parce que c’est une femme qui travaille et a ses enfants, mais n’est pas parfaite pour autant. On a connu une époque au cinéma où les femmes étaient des wonderwomen qui assuraient à tous les niveaux. Et là, tout à coup, on présente une femme qui n’assure pas, qui essaye mais ne parvient pas à être partout comme il faut. Là, c’est plus réaliste: voilà une fille qui est seule face à ce qu’elle doit affronter, et ne demande pas qu’on l’aime. Moi, je la trouve aimable malgré tout, mais à voir les réactions qu’elle suscite parfois chez les spectateurs, il y en a qui trouvent cela inacceptable… »

Il n’est d’ailleurs pas que certains spectateurs que Léna dérange. Il suffit de voir comment, à l’écran, sa famille s’échine à faire son bonheur malgré elle: « le problème, c’est quel bonheur on tente de faire à sa place. Si seulement, ils essayaient de la rendre heureuse comme elle voudrait l’être, elle. Mais ils veulent la rendre heureuse comme cela les rassure eux: il y a un déni total de ce qu’elle est et de ce qu’elle ressent. Je ne considère pas Léna comme une rebelle. C’est juste une fille qui, contrairement à sa mère et sa s£ur, quand elle s’est retrouvée dans une situation de couple impossible, a décidé de changer de vie. La mère et la s£ur qui ressentent la même chose sont beaucoup plus conventionnelles et hypocrites avec elles-mêmes et leur propre désir, puisqu’elles sont restées dans leur truc, sans être heureuses pour autant. »

Le fantasme de la page blanche

Poids des conventions et de la famille se rejoignent ici, cette dernière faisant office de révélateur comme de terrain d’exploration particulièrement fécond. Difficile, à cet égard, de ne pas opérer de rapprochement avec Un conte de Noël, le film d’Arnaud Desplechin au générique duquel figurait également… Chiara Mastroianni. « La famille est un sujet inépuisable pour le cinéma, s’enthousiasme-t-elle. Cela donne lieu à des situations tellement terribles et drôles à la fois: on peut aller de Fanny et Alexandre àThe Royal Tenenbaums . Je ne me suis pas posé la question de savoir qu’il s’agissait de deux films pas très éloignés. Chez Arnaud, la famille a quelque chose d’ouvertement haineux, mais la famille comme la voit Christophe, en tout cas avec ce film-là, est beaucoup plus toxique. Chez Arnaud, c’est vivant, les choses sont dites, expulsées, la haine affirmée est aussi de l’amour. Ce que je trouve terrible dans la famille dépeinte par Christophe, c’est qu’elle n’est faite que d’absences: ces gens sont absents à eux-mêmes, ne se connaissent pas, ne se disent pas les choses. Cela paraît moins violent, mais c’est beaucoup plus dur. Chez Arnaud, c’est une tempête, et chez Christophe, c’est plus larvé. Je trouve cela terrible, parce que quand c’est larvé, on ne sait pas où est l’ennemi, ni à quoi s’affronter… »

D’une famille, l’autre, pourrait-on ajouter. Entre les deux auteurs précités, celle de cinéma de Chiara Mastroianni ne manque certes pas d’allure, encore qu’elle se défie de l’expression: « Forcément, quand on travaille bien avec quelqu’un, on a envie de retravailler avec cette personne là et d’explorer d’autres trucs. En même temps, il faut se battre avec soi-même pour ne pas se dire: le prochain, j’en suis… Il faut faire gaffe avec ça, et pouvoir se dire, chaque fois qu’un film se termine: ce n’est pas parce qu’on a fait deux films ensemble que l’on fera le prochain… » Précaution qui trouve par ailleurs dans son chef un prolongement: « Je ne cherche pas à connaître dans la vie les metteurs en scène avec qui j’ai travaillé. Christophe et moi, nous n’avons jamais eu de conversations sur nos vies personnelles. Comme on travaille bien ensemble, on n’a pas besoin du reste, et on n’en a pas envie. Pour qu’un metteur en scène puisse écrire, c’est comme en amour: si vous êtes là à lui dire « alors, je t’attends » , il n’y a rien de plus castrateur. J’ai vachement de pudeur par rapport à ça. Cela participe aussi au fait que, du coup, on ne se raconte pas non plus nos vies: ce qui permet le fantasme et d’envisager des histoires sur quelqu’un, c’est aussi de se présenter comme une page blanche… »

Visions d’auteur

A quoi l’on ajoutera une réflexion plus vaste: « On est dans une société où tout est tellement répandu, peut-être que la pudeur s’accentue. Je n’ai pas besoin de me sentir intime avec un metteur en scène pour lui faire confiance. Cela ne passe pas par le fait qu’il me connaisse bien, ce serait trop narcissique. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir qu’il a une vraie vision, et qu’il sait comment il va faire le film. Dans la société de formatage dans laquelle on vit aujourd’hui, cela tient pratiquement du miracle de pouvoir réaliser des choses qui sont des envies personnelles tout en étant – c’est le cinéma – faites pour les gens. « 

A cet égard, la filmographie de Chiara Mastroianni est un modèle du genre, qui a épousé une trajectoire étroitement liée à ce qu’il convient de nommer le cinéma d’auteur – un parcours qui, depuis 1992, l’a conduite de Téchiné en Beauvois, de Ruiz en Araki, de Oliveira en Podalydès, et on en passe. « Oui, mais le cinéma d’auteur est aussi celui qui est venu vers moi. Souvent, on pense que c’est une démarche presque politique, mais si on me propose de tourner District 9 , j’y vais de suite, j’adorerais faire cela. Les circonstances ont voulu qu’au début, alors que je faisais des essais, j’ai été engagée sur des films d’auteurs. »

Le portrait de familles ne serait pas complet si l’on n’évoquait, pour terminer, Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni, parents qui la virent se lancer dans le métier avec des sentiments partagés. « Forcément, quand on est acteur et que votre enfant vous dit: « J’ai envie d’être acteur » , c’est flippant. On se demande si c’est parce qu’on ne lui a pas ouvert l’imagination, et qu’il pense qu’il n’y a pas d’autre voie possible. Mais je n’ai pas du tout eu envie de devenir actrice parce que mes parents étaient acteurs. J’avais juste envie de faire du cinéma, j’adorais les films, je trouvais cela incroyable. Mon père était assez content, je crois: il avait une approche très artisanale de tout cela. Tout ce qu’il m’a dit, c’est de faire ce que j’avais envie de faire, et pas pour les mauvaises raisons. Ma mère, c’était plus précis. Elle a eu une carrière exceptionnelle, mais elle était très angoissée parce que justement, elle sait que son parcours n’est pas représentatif d’un parcours d’acteur normal. Elle était inquiète qu’il y ait là quelque chose qui me vulnérabilise trop. A l’époque, cela m’énervait, mais maintenant je comprends fort bien. Et elle comprend mieux pourquoi j’avais envie de le faire… »

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Paris.

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