JAMES B. STEWART PASSE AU CRIBLE LES 20 ANS DE RÈGNE DE MICHAEL EISNER SUR L’EMPIRE DISNEY DANS UN LIVRE-ENQUÊTE ULTRA-DOCUMENTÉ QUI SE DÉVORE COMME UN POLAR. ÂMES SENSIBLES S’ABSTENIR…

N’y allons pas par 4 chemins: pour quiconque s’intéresse à l’industrie du spectacle en général, et à Hollywood en particulier, Le Royaume enchanté constitue une somme indispensable, si pas définitive; le révélateur de l’envers du décor de l’usine à rêves conjugué à une réflexion acérée sur l’exercice du pouvoir. Le tout, conduit avec une rigueur qui force le respect, et une vigueur donnant à cet ensemble touffu – un petit 800 pages, fourmillant de détails – le rythme et le souffle d’un polar.

Avocat et journaliste au New Yorker et au Wall Street Journal, James B. Stewart y poursuit une entreprise entamée par des ouvrages traitant du monde de la finance et de la politique. « Il me semblait qu’Hollywood était un autre centre majeur de pouvoir et d’influence à explorer », écrit-il fort à propos dans le prologue d’un ouvrage qui le voit logiquement s’intéresser au primus inter pares, l’empire Disney. Et plus particulièrement à celui qui y régna sans partage, ou peu s’en faut, pendant une vingtaine d’années, de son entrée en fonction au poste de PDG le 24 septembre 1984, à son départ, le 1er octobre 2005, à savoir Michael Eisner.

Gang de requins

La fréquentation des allées du pouvoir du studio ne manque pas de stupéfier. En matière de petits Mickeys, c’est plutôt de l’oncle Picsou qu’il est ici question, ou alors des frères Rapetou à la rigueur. Voire même, histoire de faire jouer la concurrence, d’un Gang de requins, du titre de l’un des succès produits par Jeffrey Katzenberg après qu’il eût été banni sans ménagement (mais pas sans monumentales compensations financières) du royaume Disney. C’est là assurément d’ailleurs l’une des phases critiques du règne d’Eisner, où la success-story se mue insensiblement en scénario-catastrophe, en un glissando retracé ici par le menu. Oubliés, en tout état de cause, les débuts fracassants, qui avaient vu Eisner redresser objectivement le studio, avec le concours de Frank Wells, son directeur financier, et de Katzenberg. Cela, au prix d’un relifting drastique de la culture d’entreprise, certes, mais aussi d’une série de choix stratégiques régulièrement couronnés de succès, à quoi il convient d’ajouter encore, de Pretty Woman au Roi Lion, une série de réussites artistiques et/ou commerciales, dont le PDG n’avait cependant pas le mérite exclusif.

Dix ans après son entrée en fonction, la disparition inopinée de Wells, bientôt suivie de l’éviction de Katzenberg, expression criante de l’incapacité d’Eisner à s’accommoder d’un partenaire, fût-il un proche, vient rompre un fragile équilibre. Ne reste en place que le seul monarque absolu aveuglé par l’orgueil, dans un contexte évoquant plus une tragédie shakespearienne qu’un conte de fées – aux habituelles intrigues de couloirs se sont superposées les machinations et trahisons les plus diverses, la paranoïa étant pour sa part érigée en mode de gouvernance. Toutes circonstances n’étant pas sans incidence sur le volet créatif: la seconde partie du mandat d’Eisner le verra, par exemple, refuser Lord of the Rings, se défier du Sixième Sens (dont il avait cédé les bénéfices), et on en passe, mais aussi, plus fondamentalement, se brouiller avec Miramax et Pixar, 2 partenaires clés qu’il eut le don de décourager par sa mauvaise foi – Steve Jobs déclara ne plus vouloir passer d’accord avec Disney tant que Michael Eisner en était le PDG. A quoi Roy Disney compatit: « Quand la méchante sorcière sera morte, nous serons de nouveau ensemble. » Soit une façon de concilier happy-end maison et intérêts supérieurs, et l’épilogue annoncé d’un règne mouvementé; une histoire pleine de bruit et de fureur.

Au moment de refermer cet ouvrage, on ne peut s’empêcher de penser au formidable film qui en découlerait. Et qui pourrait être à l’industrie du divertissement ce que fut à celle du tabac l’exceptionnel The Insider, de Michael Mann. Soit, incidemment, l’un des innombrables projets maison qu’Eisner s’employa, si point à torpiller, en tout cas à décourager, au nom d’une diplomatie à géométrie variable…

LE ROYAUME ENCHANTÉ, DE JAMES B. STEWART. ÉDITIONS SONATINE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR BARBARA SCHMIDT, 784 PAGES. *****

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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