POUR SON NOUVEL ALBUM, INTITULÉ 101, KEREN ANN SE DÉVOILE À TRAVERS DES HISTOIRES D’AMOUR PEINTES EN ROUGE ET NOIR, DES POLARS EXISTENTIELS. ON DÉCHIFFRE TOUT ÇA…

Zappé le bol à la Mireille Mathieu arboré sur la pochette de son nouveau disque. Keren Ann a retrouvé sa longue chevelure habituelle. « J’avoue que c’est plus pratique au quotidien « , sourit la chanteuse. Attablée dans le salon d’un hôtel bruxellois, elle est venue parler de ce qui est déjà son 6e album, intitulé 101. Prononcez « one o one »… L’anglais y a de nouveau les faveurs de celle qui vit entre Paris et Tel Aviv, tout en gardant un pied-à-terre à New York. De quoi définitivement lui décoller l’étiquette « nouvelle chanson française » des débuts.

Evaporée aussi, petit à petit, l’image de folkeuse. Ses multiples collaborations ont aidé: le disque de Sylvie Vartan, son travail avec l’Islandais Bardi Johannsson (Lady & Bird), pour le cinéma, la danse… Sur 101, Keren Ann élargit encore le spectre, méconnaissable sur le single My Name Is Trouble. « J’aime les équilibres entre la gravité et des choses plus lumineuses. Dans ce cas-ci, je voulais donner plus de place au rouge sang. Du coup, il fallait que tout le reste soit dans les tons des gris, des blancs, des noirs…  » Plus bigarré, mais traversé par une même humeur. Un spleen qui se nourrit de l’ennui et de l’attente, à la manière d’une scène de Coppola -la fille, pas le père. « L’ennui, je ne sais pas. Mais le rapport à un certain vide, oui, peut-être. Et la mélancolie. C’est ce qui m’intéresse dans l’art en général: même pour une scène de crime, il faut une forme de mélancolie dans l’esthétique. » Reste cette pudeur qui peut parfois tenir à distance. Pour la décrypter, on peut se pencher sur les lettres. Ou, comme sur le dernier morceau de l’album, sur les chiffres. Ceux que décomptent la chanteuse, et qui en disent plus qu’on ne le pense…

101

 » La chanson est née à Taïwan. Après un concert, on nous a emmenés au sommet du gratte-ciel Taipei 101. Pendant qu’on redescendait les 101 étages, l’idée du décompte m’est venue. En général, j’aime bien la connotation du chiffre, son graphisme (elle montre le chiffre tatoué sur son avant-bras, ndlr) . En hébreu, mes initiales forment le 101: Koph (100) et Alpeh (1). J’adore également le psaume 101. Un psaume de chant et de justice, qui me correspond bien finalement. Je pense que les gens qui écrivent sont souvent en recherche de justice, même si leur empathie va vers l’injustice, vers les gens qui se mettent hors-la-loi. »

36

«  »Thirty-six hours. » Ce sont les 36 heures qui ont séparé le moment où mon père a perdu connaissance et celui de sa mort. C’était en juin dernier. Dans le morceau, le 75 représente les 75 printemps qu’il a connus; 14, le nombre de mois pendant lesquels il était sous morphine… Mon écriture est toujours très personnelle et autobiographique. Même si la narratrice n’est pas forcément 100 % moi -tout comme un auteur qui écrit une fiction met une partie de lui dans le personnage. »

1

«  »One god. » Je ne suis pas quelqu’un de religieux, mais j’aime le fait que même les gens les moins croyants ont une raison de vivre, une force qui les tient: certains sont végétariens, d’autres écrivent, ou courent une heure par jour… Cela peut être aussi simplement une personne, la nature, ou une religion…

La Bible est un livre merveilleux qui m’inspire beaucoup. En tournée, on en trouve une dans chaque chambre d’hôtel. On l’ouvre au hasard, et on peut tomber sur telle ou telle histoire: de tromperie, d’amitié, de fraternité, de non-sens, de drogues… (sourires) »

74

«  »Seventy-four guns. » Le revolver, c’est un objet fort, qui a été montré de manière très esthétique dans le cinéma, d’Hitchcock à Tarantino. Dans la musique aussi, via Springsteen ou Dylan. Il représente une violence extrême, mais il fait partie de notre vie en même temps. Le confort dont on bénéficie en Belgique ou en France existe aussi « grâce » à cette arme, malheureusement. Je ne suis pas pacifiste, parce que ce serait un mensonge de l’être dans une vie comme la nôtre.

J’ai ce côté soldat en moi. J’ai besoin de l’être dans ma vie, j’ai dû l’être à plusieurs reprises. Pendant 2 ans, par exemple, je me suis occupé de mon père et à aucun moment je ne pouvais craquer. Mais cela m’était déjà arrivé avant. Quand on est né en Israël, souvent on doit l’être. Cela fait partie de notre ADN, qu’on le veuille ou non (sourire) . On doit être suffisamment réaliste. Souvent en Occident, de manière plus ou moins hypocrite, on ne veut pas voir la réalité des choses. En vivant en Israël, on vous fait porter la responsabilité de beaucoup de choses dans la région. »

15

«  »Fifteen minutes of fame. » A travers ma musique on peut tout savoir sur moi, mais je n’ai pas du tout une vie publique. J’ai choisi de ne pas l’avoir, et je travaille dur pour ne pas l’avoir. Je pense que ça paie. Cela me permet de vivre aussi pleinement ma musique, de m’y dévoiler entièrement. Une chanson comme All The Beautiful Girls , c’est un témoignage très précis. Une scène qui se passe dans les années 70, qui pourrait être l’histoire de 2 peintres, un homme et une femme. Elle parle à son mari, qui a constamment besoin de reconnaissance et d’amour de la part de son entourage -un cercle assez « factoryen », rempli de femmes et d’hommes européens, américains, qui ont besoin de déployer une certaine forme d’intellect pour exister dans la société. Elle s’efface complètement pour lui laisser la place. Je peux retrouver une empathie pour ce couple. Parce que je l’ai peut-être connu dans une autre forme. Peut-être que j’étais le peintre, peut-être la femme…

Peu importe. Mais si je l’ai écrit, c’est que je l’ai vécu d’une manière ou d’une autre. » l

ENTRETIEN LAURENT HOEBRECHTS

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