EN SUIVANT UN TRIO D’ACTIVISTES ÉCOLOGISTES RADICAUX LANCÉS DANS UNE OPÉRATION DE GRANDE AMPLEUR, KELLY REICHARDT TRANSCENDE LE CADRE DU THRILLER.

Night Moves

DE KELLY REICHARDT. AVEC JESSE EISENBERG, DAKOTA FANNING. 1 H 48. DIST: TWIN PICS.

8

Entamé il y a une vingtaine d’années déjà, le parcours de Kelly Reichardt l’a vue s’imposer, en toute discrétion, comme l’une des figures de proue du cinéma indépendant américain. Après avoir revisité, en mode minimaliste s’entend, le road-movie dans Old Joy et Wendy and Lucy, puis le western dans Meek’s Cutoff, la voilà qui s’empare aujourd’hui d’un autre genre classique, le thriller, qu’elle emmène en terrain éminemment personnel à la faveur de Night Moves. Comme plusieurs de ses films, ces virées nocturnes, primées l’an dernier au festival de Deauville, ont pour décor l’Oregon, et sa nature souveraine. C’est là que l’on découvre Josh (Jesse Eisenberg), employé d’une ferme biologique doublé d’un militant écologiste radical qui, las d’assister, impuissant, aux atteintes dévastatrices portées à l’environnement, va se décider à agir. Et de monter une opération de grande envergure en compagnie de deux autres apprentis activistes, Dena (Dakota Fanning), une jeune idéaliste, et Harmon (Peter Sarsgaard), l’homme de l’ombre…

Si l’ouverture du film laisse augurer d’un pensum discursif à l’excès, cette crainte est bien vite dissipée, Kelly Reichardt appréhendant les événements à suivre à la manière d’un film de casse. Les préparatifs bouclés dans les règles de l’art (le Fleischer de Armored Car Robbery n’aurait pas désavoué), son film progresse en un crescendo de suspense, tout en voyant ses enjeux ne plus finir de s’ouvrir, pour questionner, en un glissement proprement envoûtant, l’activisme politique et son corollaire, la mise des idéaux à l’épreuve des faits. Si la réflexion est assurément aiguisée, l’un des mérites de Night Moves est de maintenir l’humain au coeur de son propos, à travers les tiraillements qui ne manquent pas de se faire jour entre ses trois protagonistes; un cap d’autant plus passionnant que la réalisatrice laisse s’installer une certaine ambivalence, certes pas étrangère à la densité du film. Brillante sans ostentation, fluide comme le mouvement d’une barque sur des eaux au calme trompeur, la mise en scène fait le reste, portée par une grâce précaire qui achève d’inscrire le film à cet endroit précis où l’innocence s’estompe. On se laisse absorber par cette équipée nocturne dans un mélange de vague inquiétude et de troublante fascination, pour en ressortir durablement secoués; confrontés, l’air de rien, à nos propres contradictions, avec, pour nous accompagner, le souvenir tenace de Jesse Eisenberg, extraordinaire, si loin et si proche à la fois. Un grand film, beau et dérangeant.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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