Le plus fascinant dans U2, ce n’est pas forcément son nouvel album No Line On The Horizon. Mais bien la flamboyance caritative de Bono soutenue par trois comparses et une considérable machine de guerre industrielle.

Il y a quelques mois, un jeune Flamand en vacances azuréennes a enregistré sur son télé- phone portable 4 chansons jouées à pleins poumons depuis une villa aux fenêtres grandes ouvertes sur la plage de Saint-Tropez. Bono faisait prendre l’air à sa nouvelle musique qui s’est prestement – et brièvement – retrouvée sur le Net, Universal, interloquée, dépêchant instantanément une section de web-flics pour arrêter le viol commercial: on ne badine pas avec la poule aux £ufs d’or. Bono n’est pas du genre à regretter la dispersion au soleil de ses pépites inédites, pas plus que le reste d’ailleurs:  » J’avais un peu bu, c’était un instant de vino vérité » a-t-il expliqué, très cool, à un magazine anglais. Précisant par ailleurs qu’il teste sans chichi les futures nouvelles chansons secrètes avec son facteur ou un taximan inconnu. C’est sans doute la partie sympathique de la personnalité du chanteur d’apparaître sans restrictions visibles. Bono égale mégastar égale tête de bois d’Irlandais catholique. Milliardaire qui assume ses contradictions. Pas que la popularité du groupe s’en ressente le moins du monde. Pour preuve: U2 est le seul groupe non américain invité à l’intronisation en mondovision d’Obama le mois dernier. U2 et Barack partagent un même sens de la cérémonie et, surtout, une façon active de convoquer l’histoire dans le discours. Mais pas forcément la même éthique.

Habitué des sommets de Davos, Bono partage, avec ses trois comparses de U2, une fortune estimée en 2006 par le magazine Billboard à 1,6 milliard de dollars. Leur Vertigo Tour, chiffré à 200 millions de dollars, ridiculise la tournée des vieux Stones, pointée seulement à 120 millions de dollars. Il y a deux ans, dans ce contexte d’ Arte Povera, l’exil fiscal de la société U2 Ltd à Amsterdam – les Pays-Bas pratiquent un taux d’imposition sur les droits d’auteur d’à peine 1,6 % – sonne comme une pingrerie manifeste. D’autant que Bono milite sur tous les fronts pour une planète plus équitable, de la lutte contre le Sida en Afrique jusqu’à l’abandon de la dette du tiers monde. Mais peut-on être altermondialiste et cofondateur d’une société telle qu’Edun qui écoule des jeans « environnementalement corrects » à 400 dollars la paire? Supporter Paul Wolfowitz – artisan de la politique bushienne en Irak – et encourager l’initiative The ONE Campaign qui se bat contre la pauvreté? Pour faire fructifier ses gains, Bono a créé Elevation Partners, société d’investissements qui compte dans ses rangs fondateurs l’ancien directeur financier d’Apple: l’entreprise, d’une valeur d’1,9 milliard de dollars, investit dans le secteur du divertissement et des médias; elle détiendrait d’ailleurs 40 % du très sérieux magazine économique US Forbes. Toujours sous étiquette « équitable »… Les observateurs noteront également que Bono & C° ne figurent pas dans le Top 30 des artistes les plus généreux vis-à-vis des £uvres caritatives: le numéro 1 dans ce domaine étant Elton John avec 60 millions de dollars de dons en 2005. Bien sûr, Bono bouge et milite, il traque les chefs d’Etat pour un monde meilleur, quitte à fâcher les autres U2 quand il gambade aux côtés de George W. Bush. Mais entre son militantisme et ses affaires, son c£ur groove constamment dans la contradiction.

Le Bono Sapiens

Plus significatif peut-être: U2 signe, en mars 2008, un accord global avec Live Nation, géant omnipotent de l’entertainment mondial fondé par des proches de la famille Bush (1). Le business agreement avec U2 couvre les tournées, le merchandising, les droits digitaux et l’utilisation de la marque U2, Universal restant le dealer pour les disques. L’accord, qui porte sur une durée de douze ans, projette un profit potentiel pour les Irlandais chiffré à un milliard de dollars. Là encore, U2 ne s’embarrasse pas de contradictions idéologiques: Live Nation est largement critiquée pour ses visées d’autant plus monopolistiques que la société annonce maintenant une possible fusion avec Ticketmaster, autre barnum nord-américain, vendeur de 141 millions de tickets de concerts… Cette décision est soumise a l’approbation des autorités de la concurrence US. Alors que devient le Bono sapiens là-dedans? Il chante et réalise ce dernier album, plutôt réussi, où il parle autant de lui à la première qu’à la troisième personne. Bono prêche depuis toujours une forme de rédemption, proche de son éducation puissamment catholique. Dans Breathe, il invoque l’idée de « grâce »:  » I’ve found grace inside a sound/I found grace, it’s all that I found« . Même si elle est « à l’intérieur d’un son », cette grâce-là a un parfum divin. Il nous la ressert d’ailleurs dans White As Snow avec  » Once I knew there was a love divine ». Bono se montrant totalement explicite dans Stand Up Comedy:  » God is love/And love is evolution’s very best day ». On ne saurait être plus clair sur ses croyances. U2, c’est cela aussi: une bible dans une main, un dollar dans l’autre, et saint Bono qui fait tourner la machine à musique pour plus de rêves et de justice. Qui dit mieux?

(1) Live Nation, qui possède une filiale belge, gère 16 000 concerts de 1 500 artistes à travers 57 pays.

Texte Philippe Cornet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content