ACTRICE TOUT-TERRAIN, ROMANCIÈRE SINGULIÈRE, SYLVIE TESTUD S’ESSAYE À LA RÉALISATION AVEC LA VIE D’UNE AUTRE, UNE DRÔLE DE COMÉDIE ROMANTIQUE FLIRTANT AVEC LES ABÎMES, EN DÉCALAGE CONTRÔLÉ.

Dans le genre parcours peu banal, Sylvie Testud ne manque pas d’en imposer. Si elle a étudié au cours Florent et au Conservatoire, à Paris, c’est en Allemagne que sa carrière a décollé, il y a une quinzaine d’années de cela, à la faveur de Jenseits der stille (Au-delà du silence) de Caroline Link, film qui eut, parmi d’autres qualités, le don d’imposer sa différence. Après quoi, la Lyonnaise s’est composé un profil au singulier pluriel: actrice tout-terrain, de Karnaval aux Blessures assassines; à l’aise aussi bien chez Chantal Akerman ou James Huth que Johnnie To ou Olivier Dahan. Et écrivain guère moins singulière, dont l’univers s’est déployé en 4 romans depuis Il n’y a pas beaucoup d’étoiles ce soir, paru en 2003. A croire d’ailleurs que ces 2 facettes étaient appelées à se confondre, puisqu’elle a interprété tour à tour Françoise Sagan dans le biopic de Diane Kurys, Marguerite Duras dans Marguerite ou la vie tranquille, un court métrage de Stéphanie Murat, et même le double d’Amélie Nothomb, dans l’adaptation de Stupeur et tremblements d’Alain Corneau. Compulsive, la voilà qui se lance aujourd’hui dans la réalisation, un art dont elle avait tâté fugitivement à la fin des années 90, le temps d’un unique court métrage, Je veux descendre, qu’elle signait alors d’un pseudo, Sylvie Voyer. La vie d’une autre ( lire la critique page 30), son 1er long, s’emploie pour sa part à joliment détourner les canons de la comédie romantique. On y découvre Marie, une femme qui se réveille un matin en ayant tout oublié des 15 dernières années de sa vie, et pense en être encore au 1er jour d’une histoire d’amour qui a eu largement le temps de s’étioler depuis, tandis que la jeune fille en fleur d’alors se muait pour sa part en impitoyable businesswoman. Il y a là matière à tanguer au bord de l’abîme, ce dont ne se prive pas un film qui cultive un sens appréciable du décalage -une qualité que l’on serait enclin à qualifier, au prix d’un néologisme, de « testudienne », encore qu’elle s’en défende avec force: « Je ne crois pas être tellement décalée. Au contraire, je suis quelqu’un d’assez concret, j’ai une logique implacable. Mais je n’ai pas de garde-fou », observe-t-elle, le regard malicieux. Adapté d’un roman de Frédérique Deghelt, La vie d’une autre lui a été proposée par un duo de jeunes producteurs, désireux de s’atteler à un 1er film. « Ils aimaient bien ce que j’écrivais, et ils aimaient bien l’actrice. Donc, en gros, ils m’ont demandé de m’écrire un rôle. Sur le moment, j’ai trouvé cela super, de pouvoir m’écrire un rôle. Mais il faut admettre que, parfois, les choses ne se passent pas comme on les décide. Et tant mieux: en écrivant, je me disais que ce film n’était pas pour moi. » Exit donc l’actrice, au profit de Juliette Binoche: « Elle a exactement ces 2 choses qui se côtoient: c’est une adulte accomplie, une femme fatale un peu, et en même temps, on voit la gamine qu’elle était et qu’elle est encore » -soit, peu ou prou, le portrait-robot de Marie. « Ce qui m’a séduite dans le roman, c’est le truc de base, poursuit Sylvie Testud, c’est-à-dire avoir le droit, d’un coup, de s’arrêter sur sa vie, et de la regarder. De redevenir une page blanche, d’enlever les petites cicatrices, à droite, à gauche, et de se dire: maintenant, tout est possible, de nouveau. J’aimais bien le principe qu’on lui offre cette possibilité au milieu de sa vie. Elle peut la retourner, et cela induit plein de choses, et notamment la question: que penserait la gamine que tu étais de l’adulte que tu es devenue? »

Adressée à la réalisatrice, la question appelle une réponse enjouée – « Je pense qu’elle rigolerait, parce qu’elle était moqueuse. » Elle pourrait y ajouter une moue approbatrice devant la résistance farouche au formatage qui, si tant est qu’il y en ait un, apparaîtrait comme le fil rouge de son parcours – « Je n’ai pas peur de l’égarement, j’ai peur de l’inverse, de la décision. L’évolution est une chose, se trahir en est une autre, mais se définir est à mon sens ce qui est le plus affreux, martèle-t-elle. Réflexion qu’elle complète d’une autre: « Je tiens énormément à ce passage adolescent, quelque part, où vous n’êtes plus un enfant, c’est-à-dire quelque chose de bien ciblé, mais pas encore un adulte. » Avant, pour conclure l’envoi, de se référer à Coluche affirmant qu’il est dangereux de vivre: « C’est dangereux de faire des expériences, et en même temps, c’est attirant. C’est ce cocktail qui me plaisait dans le roman. Je dois avoir un côté cynique: j’aime bien rire de ce qui est lourd, grave, et arrêter de rire d’un coup. Je le fais d’ailleurs dans mes bouquins. »

Une approche, 3 déclinaisons

L’écriture, elle raconte y être venue presque par accident, pour tuer l’ennui d’un tournage qui la laissait recluse, les week-ends, dans un hôtel n’offrant d’autre distraction qu’un terrain de golf. Et d’écrire des petites situations qui retiennent bientôt l’attention des éditions Pauvert. Coïncidence, on est là au lendemain de Stupeur et tremblements. « C’est vraisemblablement venu de là, j’imagine qu’une chose en entraîne une autre, mais je n’ai pas la réponse exacte, en fait. » De fil en aiguille, la voilà qui s’attèle alors à une carrière d’écrivain: « J’avais envie de balancer des idées, de mettre un dialogue et de le déconstruire par l’écrit. Ce n’était pas quelque chose à filmer. » Conséquente, le moment venu d’adapter Gamines, son 3e roman, elle s’efface d’ailleurs derrière Eleonore Faucher. « Si j’avais encore quelque chose à dire dessus, je n’aurais pas fini d’écrire », assène-t-elle, catégorique.

Au vrai, on ne sait trop où la conduira l’inspiration du moment. Elle parle de se lancer dans un 5e roman, on lui prête aussi l’intention de porter à l’écran Les morues de Titiou Lecoq, entre ses emplois sur les planches et devant les caméras. « J’aime la vie dans ses détails, j’adore qu’on me raconte des histoires, je suis passionnée par les histoires des gens, explique-t-elle, à propos de son énergie créative déployée en surmultipliée. Ecrire, réaliser ou jouer la comédie, c’est retranscrire la vie, d’une façon ou d’une autre. Etre actrice, c’est la ressentir, lui donner un corps ou une voix, et entrer dans l’univers de quelqu’un. Ecrire, c’est dire: « Tu vois cela? Et bien moi, je le vois d’un autre angle. » Et réaliser un film, c’est créer soi-même un univers, pour y embarquer des gens. Mais finalement, la colonne vertébrale est la même. J’ai la même approche des 3. » En toute liberté…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

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