AMBIANCE « PESSIMISTE JOYEUX » CHEZ THOMAS DEPRYCK. CE JEUNE AUTEUR DE THÉÂTRE EST À L’AFFICHE AVEC LE RÉSERVISTE. UN TEXTE PULSIF AUTOUR D’UN AGITÉ DU BOCAL, CHÔMEUR À LA DÉRIVE. DU CAUSTIQUE DÉLICIEUX…

Nous avions été fort emballée par la forme courte du Réserviste (présentée au XS Festival en 2013). Le spectateur était confortablement assis sur scène (dans des « poufs »), tandis que trois interprètes, agités, circulaient parmi les sièges vides de la salle. Au centre: une polyphonie à trois voix pour un glandeur (lire extrait), chômeur invétéré qui décide de se mettre de côté, en « réserviste ». Le spectacle revient aujourd’hui en création « longue version ». « J’ai emprunté l’idée à Karl Marx, explique Thomas Depryck, qui affirme qu’une armée de réservistes au travail est nécessaire au capitalisme. Le « personnage » pousse l’idée jusqu’au bout, prend le système à revers, mais ça ne va pas marcher. »

Rien d’autobiographique: à 35 ans, Thomas Depryck n’a jamais chômé. « Mais j’ai lu beaucoup de témoignages. Au-delà de la figure du chômeur, le thème du travail se retrouve dans mes textes, comme dans Dehors, ma précédente pièce (sur les clochards). L’idée que les parias ont une fonction de repoussoir conduisant les gens à être dans la norme témoigne d’une défectuosité sociale qui m’intéresse. »

Le style de Depryck? Un langage courant qui claque et donne des textes extrêmement vivants. Le Réserviste, sa troisième pièce, est ponctué d’insultes dans un rythme « agité du bocal ». « Il y a une influence très forte de Rodrigo Garcia: la nervosité des personnages, le côté dérisoire, où trop d’insultes tue l’insulte. Du « pessimisme joyeux » dans une forme jouante de théâtre ludique qu’affectionne aussi Antoine Laubin. »

Autre singularité: les personnages se résument à une polyphonie en »1, 2, 3″. « J’aime dépersonnaliser le personnage au maximum. Il peut représenter n’importe qui mais en même temps pas, puisqu’il est exagéré. J’aime jouer sur le flou, avec des dédoublements du personnage et des voix qui commentent en s’adressant à lui tout en même temps qu’aux spectateurs. »

Tremplin Miller

Dramaturge et auteur de théâtre, Thomas Depryck est l’une des plus intéressantes jeunes plumes « arts de la scène » de la Communauté française. Il adapte de la matière pour le théâtre, écrit seul ou à partir du plateau des comédiens. « Je cherche la scène mais pas la mise en scène. J’ai besoin d’avoir le passage du texte par les comédiens. Mon travail est un élément parmi d’autres du spectacle. Je ne suis pas dans la sacralisation du texte. »

Né dans la région d’Ath, de parents professeurs, Thomas Depryck a baigné dans des livres. Ado, il envoie sans succès ses textes « noirs » à des concours littéraires (« Je n’avais pas encore la distance nécessaire pour qu’on puisse en rire. »). Mais c’est la lecture d’Henry Miller qui lui donne le déclic. « Il y avait là ce qui me parlait le plus: ça parlait cul, c’était assez cru, très autobiographique avec une grande force littéraire, des personnages déprimés, alcooliques, libidineux… J’étais un peu là-dedans (rires). »

A l’unif, après un passage en psycho, il s’inscrit en Philologie romane. « Je n’étais pas intéressé par l’écriture théâtrale, que je trouvais classique avant de découvrir l’écriture décomplexée de Rodrigo Garcia. Mais je suis entré dans l’écriture « théâtre » avec le spectacle Dehors. »

Impossible de parler de Thomas Depryck sans mentionner le metteur en scène Antoine Laubin qu’il rencontre au Théâtre universitaire (ULB). Par la suite, les deux créent leur prolifique collectif De Facto. La presse les découvre avec leur premier succès Les Langues paternelles, une superbe adaptation du roman de David Serge (alias Daniel Schneidermann).

Amateur de littérature américaine, Thomas Depryck écrit des textes pour le théâtre mais aussi des nouvelles « laboratoires » pour la revue Marginales. Pas de roman en vue (faute de temps) pour celui qui ne craint pas « la page blanche », mais bloque plutôt à la page 20. D’ailleurs, il ne se qualifie pas d’auteur-« une notion trop complexe. Je dis: « J’écris« , ce sont les autres qui me définissent comme « auteur ». » Quant à notre question inspirée du Réserviste: il glande comment? Réponse de l’intéressé: canapé et séries télé…

LE RÉSERVISTE, DU 02 AU 14/02 AU THÉÂTRE DE LA VIE, RUE TRAVERSIÈRE 45 À 1210 SAINT JOSSE. WWW.THEATREDELAVIE.BE

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