Utilement dérangeant, Elève libre nous confronte au parcours délicat d’ un adolescent pris au jeu d’adultes pervers. Le nouveau Joachim Lafosse invite à ressentir et à réfléchir. Y COMPRIS QUAND IL COMMENTE DES PHOTOS ILLUSTRANT DES THèMES QUI LUI SONT CHERS.

Je veux partager avec le spectateur, et via le cinéma, une réflexion sur la fonction des lois et des limites, dans l’existence et dans les liens. Je veux offrir au spectateur un espace, un lieu d’intimité dans lequel il peut se découvrir, se reconnaître, et éventuellement, une fois le film terminé, donner son opinion et – sans le dire ni peut-être même en être conscient – parler de lui-même… Je souhaite faire passer le spectateur de l’état de consommateur à celui de sujet, à travers un film où il y a plus de non-dit, de hors-champ, plus de place pour la subjectivité de celle ou celui qui le voit.  » Le réalisateur de l’admirable Nue propriétésigne avec Elève libre une £uvre singulière et forte, exigeante et ouverte à la fois.  » Le film, poursuit-il, évoque ce moment dans l’éducation où l’on passe de la transmission à la transgression. Je ne pourrais pas, dans ma mise en scène, utiliser ce que je dénonce. Tout comme si je consacre un film aux effets de la pornographie sur nos vies, je ne pourrais pas y mettre des images pornographiques. Le paradoxe est qu’aujourd’hui, la présence d’images pornographiques au cinéma ne suscite plus de réactions, alors que si vous offrez de la fiction, du récit, du hors-champ, pour que le spectateur puisse faire son propre film, vous vous faites allumer. Il se dessine aujourd’hui un clivage entre d’un côté le cinéma qui aurait pour pure fonction d’assurer notre jouissance de consommateurs, et de l’autre celui qui fait réfléchir. Qu’il n’y ait plus de rencontre entre les deux m’inquiète beaucoup. C’est d’ailleurs un peu le sujet du film! Quand Pierre, l’adulte, se présente à Jonas, cet adolescent curieux, et qu’il lui affirme posséder les réponses à ses interrogations (au lieu de lui laisser découvrir le mystère de l’existence), il lui ment. Même la sexualité, il la lui présente comme une clé pour jouir tout le temps, tout comme la publicité présente la consommation permanente comme la clé du bonheur. Comme s’il ne pouvait plus jamais exister de manque, ce manque qui est, à mes yeux, facteur de création, d’émancipation et de désir…  »

Joachim Lafosse sait bien qu’il va subir les critiques de ceux qui sortent le mot  » réactionnaire » dès qu’on prend la défense de  » certaines lois universelles qui ont fait que la société fonctionne« . Il se dit consterné par  » la tendance actuelle à ne pas vouloir réfléchir aux limites, notamment en matière de sexualité, laquelle est de plus en plus envisagée comme un acte de consommation ne dégageant plus de sens« . Et il s’avoue  » effrayé d’entendre de plus en plus souvent dire aux jeunes que pour savoir si on est homosexuel, il faut essayer. Comme si l’homosexualité se résumait au seul acte sexuel, comme s’il n’y avait pas l’affectivité, le sentiment…  » Et de conclure, révolté:  » Cette séparation du corps et de l’esprit, c’est exactement ce que le marché veut nous faire croire, en faisant de la satisfaction physique, animale, un essentiel, et en réduisant la pensée à quelque chose de totalement secondaire! »

Entretien Louis Danvers

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