Chouchou des plus grands festivals internationaux, de Cannes à Venise, le réalisateur philippin Brillante Mendoza débarque sur nos écrans avec Serbis, un film à la mesurE de son cinéma: inconfortable. Arrêt sur image.

Aux côtés de moult distinctions glanées dans divers festivals internationaux (parmi lesquelles le prix de la mise en scène, l’an dernier à Cannes, pour Kinatay), il en est une, officieuse, dont peut se prévaloir Brillante Mendoza: celle de réalisateur le plus prolifique de sa génération. Neuf longs métrages en 5 ans, voilà qui défie en effet l’entendement -même un Ozon a renoncé à tenir un tel rythme; tout au plus si Werner Herzog soutient la comparaison. Pour donner une idée de la frénésie avec laquelle tourne le cinéaste philippin, Serbis, qui vient de sortir sur nos écrans, avait été mis en chantier en mars 2008 et bouclé dans les délais pour être présenté à Cannes 2 mois plus tard, opération répétée l’année suivante avec Kinatay, après quoi Mendoza avait encore trouvé le moyen de présenter Lola en septembre à Venise.

L’urgence, c’est du reste le sentiment qui s’impose à la découverte du cinéma d’un auteur dont le premier film, Le Masseur, tourné à la quarantaine bien entamée, avait remporté le Leopard d’Or de la vidéo à Locarno, en 2005. Suivront des £uvres à la diffusion souvent confidentielle, mais néanmoins passionnantes -ainsi d’un Foster Child, tourné 2 ans plus tard et sans doute son opus le plus accessible à ce jour; ou de Serbis, dont la présentation, en compétition à Cannes l’année suivante, avait suscité des réactions tranchées.

Le film est peu banal, il est vrai, tant par son sujet que par son expression. Entièrement sis dans un cinéma porno de Manille, le Family (sic), Serbis cerne la lente mais sûre désagrégation de la famille de gérants, alors que le business de la prostitution, de jeunes gens en particulier, fleurit dans les murs de ce décor pisseux. Contexte traduit à l’écran dans un réalisme cru, où s’invitent toutefois diverses visions incongrues -ainsi, lorsqu’une chèvre traverse la salle, l’air de rien-, et, plus encore, les échos assourdissants de l’activité urbaine. C’est d’ailleurs cette impression de vacarme qui assaille d’abord le spectateur -constat que Mendoza accueille d’une réflexion amusée, alors qu’on le retrouve dans la quiétude, relative, d’une après-midi cannoise: « Quand je viens en France et que je n’entends rien, j’ai l’impression de me retrouver dans une ville fantôme et, bien vite, je m’ennuie. Le son, et le bruit, c’est une façon de témoigner de ma culture, de la façon dont nous vivons. Dans Serbis , en particulier, le son est extrême. Certains ont même cru, lors de la projection, qu’il y avait un problème technique. Mais aux Philippines, même à l’intérieur de sa maison, on entend le son qui monte de l’extérieur: les gens crient, il y a ces tricycles, la fumée, je n’invente rien, et je trouve important de le montrer dans mes films, pour faire partager ce que l’on peut ressentir dans ce pays. »

Sans concessions

Le réalisateur est le tenant, en effet, d’un cinéma viscéral, en forme de plongée au c£ur même du chaos; volonté culminant sans doute dans l’interminable scène de voiture de Kinatay, où la pénombre réunit spectateurs et protagoniste dans un même malaise. Son incontestable savoir-faire, mis désormais au service de l’intransigeance, Mendoza l’a dans un premier temps exercé comme décorateur, au cinéma et puis dans le film publicitaire. « Lorsque je travaillais dans la publicité, un monde complètement différent du mien, je savais que je vendais un produit: il s’agissait d’inciter les gens à acheter, et donc de veiller au glamour de chaque chose, de rendre chaque cadre magnifique, presque parfait. Dans mes films, pas du tout, je raconte une histoire avec autant de vérité que possible. J’essaye de faire sortir la réalité de chaque cadre, je ne triche pas: ce que je montre, c’est la réalité, la vie…  »

En découle une vision inconfortable, pour un art sans concessions, refusant de prendre en considération d’autres limites que cinématographiques. « Je ne pense qu’à l’histoire, et à la manière de la montrer de la façon la plus sincère et honnête. » Postulat qu’il élargit à l’horizon philippin dans son ensemble: « Mes films dispensent le sentiment qu’il n’y a plus rien en quoi croire? C’est là l’ironie d’un pays où 90 % de la population est catholique, et où la foi est très présente, mais où les institutions et le gouvernement sont gangrénés par la corruption. Je ne fais que montrer la réalité. Le bruit, la pollution sont considérés comme acquis à Manille. Quant à la violence et la criminalité, elles font partie de la vie de tous les jours. Chaque fois que je sors de chez moi, l’envie de tourner me prend, parce qu’il y a des centaines voire même des milliers d’histoires à raconter. Je n’ai aucune intention d’arrêter, je pense devoir continuer jusqu’au moment où je serai satisfait, à moins qu’un autre réalisateur ne puisse faire la même chose. » D’urgence, de bruit et de fureur… l

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Cannes

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