Studio 54, Haçienda, Palace… Pendant tout l’été, Focus part sur la piste des clubs les plus mythiques. Première étape, belge, avec le Boccaccio.

C’était le 27 juin dernier. Le Dirty Dancing fermait officiellement ses portes. Pour mieux renaître à la rentrée, sous une autre forme. Pendant six ans, il aura tenu son rang de haut lieu des nuits bruxelloises. Fin d’un énième chapitre d’une histoire du clubbing belge déjà bien fournie.

Belgique, terre breughelienne – son sens de la fête haut en couleurs. Belgique, terre électronique aussi – de Telex à Front 242… Pas étonnant donc d’y avoir toujours compté un nombre important de clubs réputés. Le Fuse, le Carré d’Anvers, la Chapelle, la Gaîté, le Who’s Who’s land, la Rocca… Il y en a cependant un qui aura marqué plus que les autres la vie nocturne locale. Un lieu mythique, dont la réputation dépassait largement les frontières: le Boccaccio. « Sur le parking, on pouvait voir des plaques françaises, allemandes, anglaises… », se rappelle Stefaan Vandenberghe, aujourd’hui label manager chez NEWS, à l’époque fervent adepte de la boîte installée à Destelbergen, à côté de Gand.

C’était à la charnière des années 80 et 90. A l’époque, la Belgique s’était inventée sa propre musique électronique: la new beat. Un mélange de new wave, d’EBM martiale et de grand carnaval. Il provoquera un raz-de-marée dans le Benelux, débordant largement jusqu’en France, intriguant jusqu’à l’Angleterre et au-delà. Le Boccaccio sera parmi les premiers à embrayer. De 87 à 93, il régnera sur les dimanches soirs du Royaume. « Le Boccaccio était une sorte de laboratoire de danse électronique », explique Eric Beysens, alias Eric B, DJ légendaire de la boîte.

Robert et Dirk Demaersschalck, père et fils, ouvrent leur établissement en 1972, au 5 Solariumdreef. Sa première vie se danse sur fond de funk et de disco. Mais dès 85, l’endroit marque le pas. Un concurrent vient d’ouvrir juste en face, le Carrera, à la programmation plus moderne. « Au milieu du funk, on commençait par exemple à y disséminer des choses plus radicales, comme l’AB music », explique Eric B. L’AB Music, ce sont les prémices de la new beat. Le nom vient du club anversois où ont été posées les bases du genre: selon la version officielle, une version ralentie de Flesh, un titre du groupe A Split Second.

Les patrons du Boccaccio vont donc moderniser de fond en comble leur établissement. Ils engagent des DJ, comme Eric B, ou Olivier Pieters, qui officiait jusque-là à la fameuse AB anversoise. En 87, le club rebaptisé Boccaccio Life International est lancé. Les affaires repartent. D’autant plus facilement que le concurrent d’en face brûle dans un incendie… La boîte ouvre dès le samedi, mais ce sont bien les dimanches qui attirent la grande foule. Stefaan Vandenberghe: « C’étaient des soirées spéciales, le seul endroit où l’on pouvait entendre une telle musique. C’est difficile d’imaginer ça aujourd’hui, où tout est accessible sur Internet. » Pouvant accueillir plus de 2000 personnes, le Boccaccio draine aussi un public complètement hétéroclite. Des freaks, beautiful people et autres vedettes – chanteurs, footballeurs, coureurs cyclistes… Mais aussi les quidams: coiffeurs en congé le lundi, personnel de l’horeca qui vient y terminer son week-end, étudiants de retour au kot… Tout ce petit monde se retrouve pour danser jusqu’au lendemain midi, voire plus si affinités. Avec l’aide de drogues? « C’est clair que pour tenir autant de temps sur une piste de danse, certains devaient consommer des trucs, explique Stefaan Vandenberghe. Mais si vous n’en preniez pas, vous ne vous sentiez pas comme un alien. Les gens venaient d’abord majoritairement pour écouter ce nouveau son. » Un son hypnotique, relativement lent (autour des 95 BPM). Le Boccaccio sera le théâtre par excellence de cette transe collective. « La structure même du lieu se prêtait parfaitement à cela, explique Eric B. Traditionnellement, les boîtes jouaient sur des décors assez chauds, des velours rouge, etc. qui correspondaient à un groove plus funk, plus organique… Au Boccaccio, il y avait les escaliers en marbre, les miroirs, les néons… qui collaient parfaitement avec une musique plus froide. Et puis, d’habitude, les clubs trouvaient abri dans d’anciens cinémas ou théâtres… Le Boccaccio était la seule boîte construite spécifiquement pour cela, avec un soin particulier attaché au son et aux lumières. Il était monté comme une sorte d’amphithéâtre, avec la piste en bas des escaliers. Les gens qui dansaient se retrouvaient au milieu de l’arène. »

New Beat, early House… C’est le grand chambardement électronique du début des années 90. Le public vient écouter une musique qui se crée en direct. Parfois littéralement. Eric B: « Quelqu’un comme Renaat (NdR: Vandepapeliere, co-fondateur de R&S, label techno culte) déboulait par exemple avec un DAT de Joey Beltram, le faisait passer, retournait en studio faire des corrections, et revenait trois heures plus tard pour refaire un essai! » Mais la magie ne pouvait durer éternellement. Problèmes de voisinage, de drogues… En 93, la boîte doit fermer, après une ultime descente de police.

Deux ans plus tard, le nom est revendu. Il faudra attendre le début des années 2000 pour voir le club de la Solariumdreef rouvrir ses portes. Rebaptisé The Temple, il n’a jamais retrouvé son prestige d’antan. En novembre 2008, le lieu a cependant abrité une soirée intitulée The Sound of B. L’occasion de faire revivre l’époque glorieuse du Boccaccio et de la new beat. Toujours bien implanté dans le circuit, Eric B termine lui un nouveau projet, Nu Beat Kidz, comme une version réactualisée du son de l’époque. New beat’s not dead?

Texte Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content