Le tarif des natifs

Jamais fatigué, le grand reporter Joe Sacco s’attaque aux ravages de la soumission aux normes occidentales dans les peuplades du nord canadien.

Après s’être attaqué aux laissés-pour-compte du système capitaliste américain avec Jours de destruction, jours de colère, le journaliste Joe Sacco a poursuivi sa route plus au nord pour mettre cette fois son magnéto et ses crayons au service des Dénés, peuple des Territoires du Nord-Ouest canadien. Le terme Déné veut dire « peuple » dans la langue des Slavey, une tribu Déné, et désigne le groupe indissociable des Premières Nations dont la culture est intimement liée à la terre. Pour situer le contexte,  » les territoires du Nord-Ouest du Canada font la taille de la France et de l’Espagne réunies, mais leur population -moins de 45 000 personnes- ne remplirait pas un stade de foot moderne« , explique le journaliste. En guise d’introduction, Payer la terre s’ouvre sur le témoignage de Paul Andrew, un Déné né sur un canoë en peau d’orignal dans ce qui semble être le début des années 50. Pendant près de dix ans, lui et sa famille marchent dans la forêt au gré des saisons et du déplacement du gibier. Ils n’ont que de très rares contacts avec le monde extérieur et vivent en parfaite harmonie avec la nature. Le contact avec la ville se fait une ou deux fois par an et les seuls éléments rapportés sont la vaisselle et les haches… Jusqu’à ce qu’un avion apparaisse dans le ciel et emporte Paul, âgé d’une dizaine d’années, ses frères et soeurs ainsi que d’autres gamins du même âge. Direction l’orphelinat catholique pour une assimilation forcée à coup de sévices physiques dans le but d’en faire de bons citoyens canadiens, traumatisant au passage toute une génération.

Le tarif des natifs

Ruée vers l’or noir

Pendant ce temps, les compagnies pétrolières envahissent le terrain et, à coup de fracturation hydraulique, méthode très polluante, extraient le précieux or noir. On touche ici à l’idée de propriété terrienne, notion inconnue pour les Dénés qui se voient chassés des terres ancestrales qui leur permettaient de vivre. Mais quitte à exploiter cette terre, autant qu’elle le soit par des gens qui y ont toujours vécu. Et une bonne partie de la population y prend part. Avec l’effondrement des prix du brut, les compagnies pétrolières abandonnent bientôt les puits et la population. Chômage, alcoolisme et perte des repères sont les conséquences désastreuses d’une politique d’invasion et d’assimilation qui a débuté il y a trois siècles. Joe Sacco prouve une fois de plus que sa place de pape du reportage dessiné n’est pas usurpée. Tel un reporter de guerre, il plonge dans son sujet la tête la première, donnant voix à tous les acteurs dans un esprit le plus exhaustif possible, allant même jusqu’à trouver des excuses aux sévères nonnes tortionnaires, victimes, elles aussi, du système. Le récit qu’il tire de ses rencontres n’est pas chronologique et les différentes notions apparaissent au fil des témoignages, empêchant de la sorte la simplification d’une situation très complexe.

Payer la terre

De Joe Sacco, éditions Futuropolis/XXI, 272 pages.

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