DANS UN FILM TENANT DE L’HOMMAGE RESPECTUEUX, ABEL FERRARA REVIENT SUR LES DERNIÈRES 24 HEURES DE PIER PAOLO PASOLINI. ET RENOUE AVEC CE QUI RESSEMBLE À L’INSPIRATION

D’Abel Ferrara, on n’attendait à vrai dire plus grand-chose, la filmographie du réalisateur new-yorkais oscillant, depuis quelque temps déjà, entre le résolument quelconque et l’absolument navrant -voir Welcome to New York, relecture faisandée de l’affaire DSK. Aussi, son Pasolini, essai biographique revisitant les dernières 24 heures de l’artiste et intellectuel italien,tient-il aujourd’hui de l’heureuse surprise: sans renouer avec la fulgurance d’un King of New York, de Bad Lieutenant ou de The Funeral, il y a là, en effet, l’évidence d’un regain sensible d’inspiration, trouvant par ailleurs une expression étonnamment apaisée. A l’image de l’homme, en fait, converti au bouddhisme, et dont les démons ne semblent plus que de lointains souvenirs, tout au plus effleurés au détour d’une litote: « J’ai connu deux vies, dont la première était quelque peu non politiquement correcte… »

Ferrara marmonne plus qu’il ne parle, agrémentant son propos de monosyllabes fleuris plus nombreux encore que dans un film de Scorsese. Et d’évoquer son rapport privilégié à Pier Paolo Pasolini. « C’est un cinéaste que j’adore. Ce film procède d’une démarche bouddhiste: on médite sur son maître, on l’absorbe; mais si l’on peut accumuler la connaissance à son sujet, comment le comprendre? Dans mon cas, pourquoi ai-je tant aimé Salo? Pourquoi Le Décameron m’a-t-il ébloui? Quand on est un jeune cinéaste, on passe par des périodes successives, s’attachant à tel ou tel réalisateur. Pour ce qui est du cinéma italien, on a une période Antonioni, une période Rossellini… Mais Pasolini est toujours resté présent pour moi. J’ai essayé de comprendre pourquoi. Et ce film est, en quelque sorte, devenu la réponse à cette question: pourquoi ma passion pour Pasolini, mon amour pour son travail, ses films, ses oeuvres de poésie, et les raisons pour lesquelles il les faisait, n’ont-ils cessé de croître? »

La dernière tentation de Ferrara

Sans surprise, dès lors, Pasolini tient de l’hommage respectueux -un choix totalement assumé par le réalisateur. « Au début de nos recherches, Willem (Dafoe, acteur fétiche de Ferrara, et interprète saisissant de Pasolini à l’écran, ndlr) pensait qu’il nous faudrait l’humaniser. Mais au fur et à mesure de nos rencontres avec des gens qui l’avaient connu, je lui ai dit: « Tu ferais mieux de ramener la couronne d’épines que tu portais dans ce film sur la Tentation »(The Last Temptation of Christ, de Martin Scorsese, ndlr), parce que nous avons parlé à une centaine de personnes dont pas une n’avait quelque chose de mal à dire à son sujet. La question n’était pas d’en faire un saint, mais comment voulez-vous humaniser un tel individu: grand peintre, bon acteur, actif politiquement… Je peux vous garantir que si vous parlez de moi à une centaine de personnes, vous allez en entendre de belles (rires), mais là, rien du tout. Tous les avis concordent: il n’élevait jamais la voix sur un plateau, était charmant et attentionné. On ne voulait pas en faire un saint, mais son travail parle par lui-même… »

Pour mieux appréhender Pasolini, Ferrara a aussi veillé à mélanger la réalité -et notamment deux interviews où s’exprime son génie visionnaire- et la fiction, s’appropriant les oeuvres auxquelles il travaillait au moment de sa mort, Petrolio et Porno-Teo-Kolossal, seule manière pour lui de se pénétrer de l’esprit du poète. En résulte un portrait éclaté, mosaïque balayant l’intimité de l’homme comme ses engagements, politiques et artistiques, d’où ressort la pertinence aiguisée de sa pensée, en plus du pouvoir dérangeant d’une oeuvre dont la modernité ne s’est pas démentie –« quand on voit Salo, on dirait de ce film réalisé il y a 40 ans qu’il a été tourné la semaine prochaine », observe le réalisateur. A se demander, d’ailleurs, s’il pourrait se trouver aujourd’hui quelqu’un pour avoir une audace et un impact semblables. « Je ne sais pas, soupire Ferrara. J’aimerais pouvoir vous dire moi, mais… il était un lion, et nous ne sommes que des lapins. »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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