« Quand tu quittes une époque, il faut pouvoir la tuer ». Dans une rare interview, Jean-Baptiste Mondino parle de son sens aigu du présent et de son amour des communautés qui l’amène à photographier Emily Loizeau ou Thomas Fersen. Parce qu’on insiste, il revient sur son fabuleux parcours photographique et ses images iconiques de Prince ou Madonna.

« Quand Madonna passe à Paris, elle m’appelle, m’invite au restaurant, mais si ce soir-là j’ai prévu de passer la soirée en famille, Madonna ou pas, je reste à la maison…« . Coquetterie – entre Italiens… – ou pose hypertrophiée? Même pas. Né en 1949 dans la banlieue ouvrière parisienne (Aubervilliers) de parents immigrés, Mondino n’aime pas les codes de conduite. Et quand on lui téléphone récemment pour lui parler de son travail passé, on se heurte à un barrage sémantique d’une impressionnante résistance.  » Non! Pourquoi? Cela ne sert à rien. Je n’ai que des choses négatives à dire sur le passé, ce qui m’importe, c’est le futur, c’est cela qui m’anime. Même si quelques photos vont peut-être rester: si la Terre existe encore en 2500, elles pourront témoigner d’une époque, rien de plus« . Plutôt que de raccrocher, ce brillant causeur, avec qui on a partagé quelques rêves rock, poursuit la conversation pendant une quarantaine de minutes tout en marchant dans Paris… Dans son refus têtu de dévoiler les recettes esthétiques passées, Mondino dit déjà beaucoup sur ses désirs de modernité. Pas du tout sages comme des images.

Inventer le jeunisme

Jean-Baptiste Mondino commence à faire parler de lui à la fin des années 70. Directeur artistique chez Publicis – le temps est à la réclame glorieuse -, il remplace au hasard un photographe absent. Coup de foudre argentique. Il ne sera peut-être jamais rock star mais il peut, assurément, les photographier. D’abord, celles du voisinage parisien de l’époque: Téléphone, Les Rita, Bijou. D’emblée se dégage un noir et blanc sensuel, frappé d’un sens de la dérision que vient culbuter la beauté naturelle des tons et du cadrage. Une étoile est née. Dans ses images flotte un vent métisse et puis, assez vite, interviennent des charges de couleurs traficotées à la palette graphique. Parfois, les personnages captés – Prince, Madonna, Neneh Cherry, Les Rita Mitsouko – sont déjà en eux-mêmes des véhicules d’ambiguïté que Mondino saisit avec un £il vif. Le plus souvent, il met en scène de nouvelles rencontres au-delà du réel. Mixe visage pâle et négritude, floute la frontière des sexes, saupoudre la gravité d’humour, relit en numérique les partitions données par l’argentique. Et met le corps au centre de son univers:  » J’ai eu le plaisir d’accompagner le métissage alors qu’il s’annonçait dans les années 80. Aujourd’hui, les gens souffrent de leur corps, je le vois à la salle de sports où je vais tous les jours. J’ai participé à cela, en contribuant à inventer le jeunisme rêvé par les designers, mais l’aventure de la femme et de la mode, c’est fini, sauf peut-être en Russie ou en Chine! Je n’ai pas oublié que les femmes qui s’abîment pour l’amour, comme Piaf, sont indémodables. Si je devais choisir quelqu’un d’actuel, je prendrais Charlotte Gainsbourg (1) qui, avec sa retenue (1), impose personnalité, simplicité et poésie« .

Le dernier mot convient bien aux récentes photos rock signées Mondino. Sur son dernier CD, il transforme Thomas Fersen (2) – qu’il photographie depuis Les ronds de carotte en 1995 – en saltimbanque cosmique, haut de forme, barbe de sapeur et… robe de mariée. Au même croisement des genres, la splendide pochette du Pays sauvage d’Emily Loizeau (3) évoque une curieuse sortie pastorale: vêtements début de (XXe) siècle, étang, apaisement. Mais derrière le look couvent des oiseaux d’Emily pose une femme à barbe. Ou un homme à poitrine.  » Chez Loizeau ou Fersen, j’aime le sens de la communauté, l’idée de collectif, l’idée qu’on puisse encore fabriquer de l’imaginaire, comme Cassavetes ou Fassbinder pouvaient le faire« . Enfant de ch£ur  » ébloui par les vitraux« , Mondino est un sacré paroissien, foudroyé par le rock autant que par le warholisme. Quand on lui demande de citer une photo qui pourrait symboliser l’ensemble de son travail, il nous agonit d’abord de jurons et finit par choisir l’image d' » une fille garçonne, guitare en mains et cigarette au bec. J’adore foutre des cigarettes partout (rires) ». La belle, androgyne (4) – constante mondinesque – est dans son dernier bouquin en date, Guitar eros (…) paru en 2003. D’ailleurs c’est là aussi que ce prince de l’image, qui n’aime pas se faire photographier, a pris la pose pour un rare autoportrait.

(1) cette conversation précède la sortie en salles d’ Antichrist, film hot de Lars Von Trier où apparaît Charlotte Gainsbourg.

Texte Philippe Cornet

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