LE PARADIS DES MAUVAIS GARÇONS

Macao

AIMANTÉ PAR SA RÉPUTATION SULFUREUSE, LE CINÉMA A RÉGULIÈREMENT MIS LE CAP SUR MACAO ET SON CADRE SINO-PORTUGAIS EXOTIQUE, REFUGE POUR AVENTURIERS DE TOUT POIL…

« Voici Macao, point insignifiant à la surface du globe sur la côte méridionale de la Chine, à 50 kilomètres de Hong Kong. C’est une ancienne colonie portugaise assez pittoresque. C’est le carrefour de l’Orient, la population est très mélangée, principalement chinoise. Macao, appelée souvent le Monte-Carlo de l’Orient, a deux visages: l’un calme et ouvert, l’autre voilé et secret. Gros trafic d’or et de diamants sur les tables de jeu, ou par des voies mystérieuses. Macao est un port de salut, idéal pour les fugitifs. Là, la police internationale n’a plus (de) pouvoir. » C’est sur cette présentation que s’ouvrait, en 1952, le Macao de Josef von Sternberg (bientôt remplacé par Nicholas Ray), au titre français explicite de Paradis des mauvais garçons. Tout un programme, pour l’une des multiples productions internationales qui devaient faire leur miel de la réputation sulfureuse de la place, capitale du jeu et antre d’autres activités plus ou moins avouables. Robert Mitchum et Jane Russell s’y trouvaient mêlés à une intrigue filandreuse déclinée en clairs-obscurs. Un film mineur, valant par ses atmosphères et son couple de stars, un Mitchum au sommet de sa nonchalance trouvant là quelques répliques d’anthologie -ainsi, lorsque appréciant les atouts de sa partenaire, il jauge: « It’s not the Taj Mahal or the Hanging Gardens of Babylon, but it’s not bad… »

Dix ans plus tôt, Jean Delannoy avait fait Macao, l’enfer du jeu, appellation passée depuis à la postérité. Pas un chef-d’oeuvre là non plus, mais un film au charme vénéneux, opposant, entre Canton et Macao, un aventurier doublé d’un trafiquant d’armes à un parrain redoutable sous ses apparences respectables, l’un et l’autre poursuivant de leurs assiduités une danseuse française malmenée par le sort. Erich von Stroheim et Sessue Hayakawa cabotinent tant et plus dans cet univers opiacé, Mireille Balin campant la beauté fatale de ce concentré d’aventures exotiques tourné… aux studios de la Victorine, à Nice! Réalisé en 1959 par Lewis Gilbert, Ferry to Hong Kong (Visa pour Hong Kong, en vf) se passe pour l’essentiel sur le bateau reliant les deux ports -même si la production a veillé à intégrer une séquence se déroulant près des splendides ruines de Saint Paul, dominant le centre historique de Macao. Soit l’histoire de deux hommes que tout oppose, un individu au passé louche dérivant dans les brumes de l’existence (Curd Jürgens), et le capitaine d’une embarcation ayant connu des jours meilleurs (Orson Welles), mus par une détestation mutuelle, mais contraints de se côtoyer dès lors que le premier, expulsé de Hong Kong et interdit de séjour à Macao, n’a d’autre endroit où trouver refuge que le bateau du second… Welles, qui honnissait tant le réalisateur que son partenaire, est exécrable, tandis que Jürgens laisse parler un charme qu’il a un brin canaille pour le coup, et le film, tourné en décors naturels, reste une curiosité…

Le rendez-vous des aventuriers

Terre de jeux, de plaisirs et de trafics, Macao ne pouvait il est vrai qu’attirer les aventuriers de l’écran. James Bond, époque Roger Moore, y mouille une première fois en 1974 dans The Man With the Golden Gun, de Guy Hamilton, à la poursuite de l’un d’eux, Francisco Scaramanga (Christopher Lee), et de l’artisan confectionnant les balles en or dont l’assassin international signe ses crimes -une escale en milieux interlopes qui le conduira notamment au mythique Floating Casino, dans le port intérieur de la ville. Ce cadre, Bond le retrouve près de 40 ans plus tard, sous les traits de Daniel Craig cette fois, à la faveur de Skyfall, de Sam Mendes (2012), dont Macao constitue l’une des étapes, au même titre qu’Istanbul, Shanghai, Londres et la lande écossaise. L’incursion macanaise a tout de l’hommage à la riche histoire de la saga, et le décor -théâtre d’une scène d’action dans le plus pur style 007 permettant incidemment à ce dernier de faire plus ample connaissance avec la létale Severine (Bérénice Marlohe) avant de rencontrer le machiavélique Silva (Javier Bardem)- a été reconstitué aux studios de Pinewood, près de Londres.

Entre-temps, Indiana Jones, le héros cher à Steven Spielberg, s’est lui aussi aventuré dans les eaux troubles de Macao. C’était en 1984, à la faveur de Indiana Jones et le temple maudit, dont la séquence d’ouverture, censée se dérouler à Shanghai en 1935, a pour cadre l’ancienne colonie portugaise. Situé dans le quartier chaud, un club, l’Obi-Wan (clin d’oeil, bien sûr, à la saga Star Wars) y abrite la rencontre entre l’archéologue campé par Harrison Ford, le redoutable Lao Che (Roy Chiao) et ses triades, et la danseuse Willie Scott (Kate Capshaw), prélude à des aventures rocambolesques qui conduiront Indy et la jeune femme en Inde, sur les traces des sanguinaires Thugs adorateurs de Kali -Inde figurée, pour le coup, par le Sri Lanka; après tout, ceci n’est que du cinéma. Dernier avatar de ces incursions à répétition d’aventuriers occidentaux en terre orientale, Now You See Me et ses magiciens mettaient le cap, tout récemment, sur la rivière des Perles pour le second volet de la franchise -normal, si l’on considère que l’épisode initial se déroulait pour partie à Las Vegas dont Macao est, à certains égards, la version asiatique.

Enfin, l’on ne saurait clore ce tour d’horizon sans évoquer divers réalisateurs hongkongais ayant fait de Macao leur terre de tournage d’élection. Johnnie To s’y est, par exemple, multiplié, y situant pour partie le duel à distance que se livrent les deux tueurs à gages de Fulltime Killer (2001) avant d’y expédier un Johnny Hallyday ivre de Vengeance (2009), la skyline caractéristique de la ville tenant lieu de toile de fond à ses allées et venues amnésiques, son patronyme de circonstance, Francis Costello, renvoyant pour sa part au Samouraï de Melville. Quant à Stanley Kwan, si son magnifique Rouge (1987) avait pour cadre Hong Kong, c’est pourtant dans les venelles de Macao qu’il trouvera le bordel abritant, dans les années 30, les amours impossibles entre Chan (Leslie Cheung), un jeune homme de bonne famille, et Fleur (Anita Mui), une courtisane. Une passion qui conduira à leur double suicide, la jeune femme émergeant toutefois de l’au-delà 50 ans plus tard, à la recherche de celui qui ne l’y avait jamais retrouvée, dans un mélodrame enrobant l’espace d’une humeur irrésistiblement capiteuse…

J.F. PL.

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