Longtemps marginales, les productions s’adressant aux enfants comme aux adultes, et parfois même exclusivement à ces derniers, se sont répandues.

A dulte, le cinéma d’animation? Longtemps domaine privilégié de l’enfance – avec des exceptions, bien sûr, comme Betty Boop, Fritz the Cat, Picha et Tarzoon, Laloux et La Planète sauvage, l’oeuvre de Raoul Servais… -, le dessin animé s’est emparé, depuis une bonne dizaine d’années, de nouveaux terrains d’exploration. Ce qui n’était alors qu’un phénomène marginal tend aujourd’hui à devenir l’un des pans essentiels de la production. On ne compte plus les films proposant deux niveaux de lecture, ni ceux s’appropriant des thématiques adultes, voire ceux où l’animation vient au secours d’une production en live action précaire – qu’aurait-on écrit du pour le moins discutable Sin City, de Frank Miller et Robert Rodriguez, sans la prouesse technique sous-tendant le film? Quant au Waking Life de Richard Linklater, seule la curiosité de son dispositif dispensait d’y voir un laborieux pensum.

Il suffit, du reste, de se plonger dans le tout-venant de la production d’il y a une bonne vingtaine d’années pour mesurer le chemin parcouru. Souvent dotés d’un charme incontestable, parfois porteurs d’un message plus ou moins subtil et édifiant, les dessins animés d’alors se préoccupaient peu d’attirer un public adulte. Il aura fallu les démarches convergentes de Pixar aux Etats-Unis, Hayao Miyazaki et Isao Takahata au Japon, ou encore des studios Aardman (Wallace & Gromit) en Grande-Bretagne pour que le cinéma d’animation bascule dans un autre âge. Avec, pour conséquence immédiate, un important déploiement de créativité, touchant aussi bien auteurs que grands studios, ces derniers se livrant une concurrence farouche sur ce terrain.

ANGOISSES ALLENIENNES Sorti il y a dix ans par les studios Dreamworks, Antz marque ainsi un tournant dans le discours tenu par un film d’animation: accessible aux plus jeunes, le film témoignait aussi d’un humour et d’angoisses existentielles que n’aurait pas déniés un Woody Allen. La formule a, depuis lors, fait florès – il n’y a pratiquement plus un film, de Madagascar à Flushed Away, où le spectateur adulte ne trouve son comptant de bons mots, là où ses rejeton(ne)s s’amuseront des péripéties. Du coup, on ne sait d’ailleurs plus trop pour quel public un film comme The Simpsons: the Movie est, in fine, profilé, tandis qu’un Ratatouille fait, de façon certes ludique et originale, le procès de la malbouffe – autant ne pas s’amuser idiot. Et si, d’aventure, un film comme Georges le petit curieux recourt à des techniques et une forme de narration plus classiques, il en émane un délicieux parfum de nostalgie.

Ne boudons donc pas notre plaisir: que ce soit en termes de contenu ou de mise en scène, le cinéma d’animation apparaît aujourd’hui comme un espace pratiquement illimité de création – jusqu’à l’infini et au-delà, aurait dit Buzz l’Eclair. Film d’animation, Azur et Asmar, de Michel Ocelot, était aussi l’une des toutes grandes réussites de 2006 – une oeuvre cinématographique majeure -, tout en fédérant un public mixte, enfants et adultes. Et l’un des films les plus aboutis et les plus denses des douze derniers mois, le formidable Persepolis, de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, recourait à l’animation comme prolongement naturel d’une bande dessinée, non sans regorger d’inventivité graphique. Destiné à un public sensiblement plus mûr, Persepolis offrait aussi à Danielle Darrieux un rôle inoubliable – à savoir la voix de la grand-mère de l’héroïne de l’histoire. Une façon, en somme, de boucler la boucle, et la démonstration, si besoin en était, des innombrables possibilités d’un cinéma qui n’a pas fini de se réinventer.

u Le Journal intime de Betty Boop est projeté à Flagey le 3 février à 11 h. Un superbe coffret de 5 DVD rassemble l’intégrale Betty Boop (éditions Les Films sans frontières).

JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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