DÉCALÉ, POMPIER, ÉNORME: LE FRANC BELGE VOIT DAAN SE METTRE AU FRANÇAIS ET MULTIPLIER LES GESTES DE BRAVOURE POP, TOUJOURS À CHEVAL ENTRE LE SUBLIME ET LE RIDICULE. ÉBOURIFFANT.

Nationale 10, quelque part entre Heist-op-den-Berg et Aarschot. Entre deux zonings industriels, sur la droite de la route, des sculptures de jardin sont alignées sur des dizaines de mètres: gargouilles gigantesques, portiques antiques énormes… Toutes plus kitsch les unes que les autres. Quelques kilomètres plus loin, un sex-shop a installé un distributeur automatique d’articles coquins -en cas d’urgence, on imagine.

Bizarreries, grandiloquences en stuc, sexe… L’air de rien, les indices s’accumulent: Daan Stuyven n’est plus très loin. On le retrouve en pleine répèt, planqué avec son groupe dans ce qui doit être une remise ou une ancienne étable. Le décor est bucolique. A sa manière: plus Merditude des choses ou De Witte van Zichem, que fermette bourgeoise du BéWé… Alors qu’une légère brise refoule l’odeur de purin, Daan s’installe dans un coin d’herbe, verre de vin blanc dans une main, clope dans l’autre. On lui a ramené un exemplaire du dernier Focus Knack, dont il fait la une. « Waw, c’est complètement exagéré! » Too much? « Non, il n’y a pas de too much. »

Ce serait bien le comble. Depuis Profools (1999), Daan Stuyven semble avoir toujours cherché à pousser le bouchon un peu plus loin. Conséquence logique: son nouveau Le Franc Belge est encore plus baroque, dingo, excessif, barré, que d’habitude. « Les pistes de Profools tenaient sur 1 gigabyte dans l’ordinateur. Le dernier, c’est entre 400 et 500… » Entre les deux, Daan a sorti sept autres disques (dont deux en or, un de platine), et affiné son personnage de dandy un peu farce, mix improbable entre Polnareff et Bobbejaan Schoepen, Randy Newman et Telex.

Une conversation avec l’intéressé est toujours un exercice assez drôle et touchant. Le bonhomme pratiquant moins l’ironie que le clin d’oeil malicieux, glissant ici et là des détails bizarres, ou des formules étranges. Morceaux choisis: « Je suis parti en vacances en Roumanie. Je voulais voir des ours dans les Carpates. La folie totale. » Ou encore: « Mes chansons, c’est un peu comme des cubes de bouillon Knorr. D’ailleurs, quand j’étais gamin, j’en chipais toujours dans l’armoire, et je les mangeais crus. Je le fais toujours. L’autre jour, je cherchais mes cigarettes dans les poches de mon manteau, et je suis encore tombé sur un carré. » (rires)

Just don’t ask

Le beau bizarre, le contrepied, Daan les a abondamment pratiqués. Que ce soit avec ses premiers groupes Running Cow et Volt (eurodance tongue-in-cheek en pleine vague grunge), ou en mettant son nez dans des productions new beat de kermesse. Excepté son passage au sein de Dead Man Ray, perle indie belge des années 90, Daan aura toujours pratiqué la pop en contrebande. Trop sérieusement pour que ce soit totalement innocent, trop bigger-than-life que pour être pris vraiment au sérieux. « Quand j’étais jeune, j’écoutais beaucoup la radio. J’entendais des ovnis comme Godley and Creme ou Baker Man (le hit du groupe danois Laid Back -ndlr). Cela m’intriguait. Je suivais les hit-parades, et il y avait toujours quatre ou cinq naufragés. Des types qui n’étaient pas vraiment faits pour être là, mais qui s’y retrouvaient quand même. Je me disais que c’était ça que je voulais faire. « 

Investir le format et le tourner en bourrique: voilà donc bien l’objectif final, toujours à cheval entre le sublime et le ridicule. Le Franc Belge ne fait pas exception -la pochette montre d’ailleurs le chanteur en train de monter un canasson à deux têtes… « La plus grande tentation d’un disque, c’est d’en faire quelque chose qui est plus beau que toi-même. Une version meilleure qui t’inspire et qui te sert presque de guide par après dans ta vie privée: vers où je veux aller? » Mais encore? « Je sais que dans la pratique, les gens vont te percevoir pendant quelques années à travers ces chansons. Donc il faut décider comment tu veux être compris. Cela facilite les conversations. Il se passe plein de choses quand les gens te parlent. Ce n’est jamais anodin. Même s’il sont gentils, il y a une attente. Or je suis très allergique à l’attente. Si on attend quelque chose de moi, ça devient un poids. Il n’y a plus de joie. Just don’t ask. »

Légèrement « contraire », le Daan? Juste un peu farouche, bon sauvage déguisé en chanteur de charme. Hyperkinétique aussi: on devine qu’il ne reste jamais longtemps au même endroit, artistiquement parlant en tout cas. « Chaque nouveau disque doit me surprendre ». Après une passade « acoustique » (Simple), Le Franc Belge est donc multi-couches. Et, pour les trois quarts, chanté en français. C’est la grande nouveauté du moment. « Faire des morceaux en anglais pour des Flamands, j’ai fait ça 250 fois. Ça va, ça passe. Chanter en français, c’est un autre défi. Et puis ma vie quotidienne se passe à moitié dans cette langue. Il fallait que je fasse quelque chose avec tous les bouts de phrase que j’entends tout le temps. » Dans le studio, le réalisateur Thierry Dory était là pour filmer le making of de l’album. Daan l’embarquera dans l’exercice d’écriture. « Il a mis un peu d’ordre dans mon chaos » Ce qui n’empêche pas les formulations bâtardes et autres néologismes de traîner encore ici et là.

Un geste de bonne volonté

Résumé de la situation: dans une Flandre sous régime NV-A, le chanteur Daan Stuyven sort un disque en français et l’intitule Le Franc Belge.. . Un peu provoc’? En l’occurrence, Daan n’a jamais pu s’empêcher de dégainer l’une ou l’autre sentence bien sentie. Toujours sous le coup de l’humour, mais sans que cela ne soit jamais complètement anodin. Avec son projet Supermarx, il avait par exemple sorti Koning van Vlaanderen ou encore Geen Franse Wagen Meer, au moment de la fermeture du site Renault à Vilvorde. En 2011, alors que l’on attendait toujours un gouvernement fédéral, il a écrit Landmijn, dirigé directement contre Bart De Wever: « Jouw land is niet mijn land/Want jouw land is een landmijn. »

Aujourd’hui, il en reprend la musique sur The Kid, l’un des cinq titres en anglais du nouvel album, avec un texte qui paraît nettement plus intime. N’empêche. Sur Mes Etats-Unis, il chante encore: « se trouver comme un expat au sein de son propre pays/vouloir faire un Etat dans l’Etat. » On lui fait aussi remarquer qu’intituler son disque Le Franc Belge allait forcément lui attirer les questions politiques de rigueur. « Ah oui? Tiens… (rires) Ok, bon, je sais bien. Mais en fait, il s’appelle comme ça parce qu’il va sortir en France. C’est une manière d’annoncer la couleur au public français. Et en même temps, je chante que j’ai « trente-treize ans ». Je fais un pas vers eux, un geste de bonne volonté! » (rires)

Au départ, Daan avait pourtant un autre plan. Début 2012, il s’envolait pour les Etats-Unis, sur le Côte Ouest. « Je voulais tracer la route, et écrire une chanson dans chaque motel par lequel je passais. » Ce qu’il a fait. Mais au moment de rentrer, il oubliera à l’aéroport l’ordinateur dans lequel il a stocké ses morceaux. « J’ai mal géré ça. Je devais remplir des formulaires, ils me l’auraient renvoyé dans les deux jours. Mais je ne l’ai jamais fait… Quand j’ai réalisé que je ne reverrais jamais ces chansons, je me suis mis à en écrire de nouvelles. C’était le soir, le 22 ou le 27 avril (sic). J’ai démarré l’enregistrement, et je me suis lancé dans le vide. Je crois que les premiers mots étaient: « j’encule le monde entier, les hétéros et parfois aussi les pédés ». (rires) Et puis j’ai enchaîné avec « la vraie décadence, c’est de ne pas dire ce qu’on pense », qui est aujourd’hui sur le disque. C’est venu comme ça. Vers 5, 6 h du matin, j’avais une quarantaine d’idées de morceaux. « 

Le résultat est un ovni total, à la fois instantané et complètement taré. Où l’on croise Alain Bashung et les Buggles, Todd Rundgren et Charles Aznavour, Bono et Laurent Voulzy (Parfaits mensonges). Particulièrement over-the-top, Mélodies Paroles lorgne allègrement du côté des Feuilles mortes, par exemple. « Ah bon? Je n’étais pas au courant (rires). Je nie complètement, cela dit. Même si j’ai tous les Yves Montand en vinyles à la maison… »

Daan fanfaronne, cabriole, en fait des tonnes. C’est fait avec le sourcil relevé et le clin d’oeil complice, comme tout bon crooner. Puisqu’au final, tout ça n’est pas très sérieux. Vraiment? « La pop, c’est le cheval de Troie. On lui ouvre les portes de la ville, et à l’intérieur, il y 3000 guerriers. » Personne n’est évidemment dupe. Ni de la démarche, ni de ce qu’elle cache comme efforts -l’accouchement du Franc Belge s’est fait apparemment dans la douleur-, ni des luttes internes qu’il remue. « Pas sot, ce métier passé à refourguer les fruits de sa vie privée, ses maux mal digérés », chante-il sur Mélodies Paroles. Daan sourit et explique en une dernière pirouette. « Je ne veux surtout pas mettre ma musique sur un piédestal, et la trouver éventuellement plus importante que les sentiments que j’ai pour mes proches. Mais il y a un cgrand décalage. En musique, je peux ranger les choses, et les sublimer dans quelque chose de plus beau que je ne suis moi-même. Dans ma vie privée, je n’y arrive pas et c’est très frustrant. Donc il faut que je me protège. Dans la musique, tu y mets 100 %, et tu reçois 500 %. Quand je le fais dans des relations, j’investis 100 % d’énergie et j’en reçois 5 % de retour. Pour un Flamand pragmatique, c’est difficile à accepter. » (rires)

DAAN, LE FRANC BELGE, PIAS. EN CONCERT LE 6/05, À BRUXELLES, AUX NUITS BOTANIQUE.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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