Ceci est mon dernier édito… Je rigole. Certains aimeraient sans doute bien me voir arrêter de divaguer mais je n’ai pas encore ressenti le besoin de fermer le robinet.  » Too young to die« , comme diraient les Eagles. C’est pourtant dans l’air du temps d’annoncer publiquement son intention de quitter le bal avant la fin. Prenez l’écrivain Philip Roth. Considéré comme l’une des pièces à conviction de l’échiquier littéraire américain à la suite de quelques coups de maître comme Portnoy et son complexe, Pastorale américaine, La tache ou La bête qui meurt, il vient de déclarer aux Inrocks qu’il jetait l’éponge. Ou plutôt le stylo. Némésis, qui sort aujourd’hui en français, sera probablement son dernier roman. Coup de tonnerre dans le ciel éditorial new-yorkais. Pour se faire une idée des conséquences de cet hara-kiri artistique, c’est comme si Messi annonçait demain en sortant du terrain, après avoir planté deux ou trois banderilles à une équipe solide, qu’il tirait un trait sur sa carrière. De quoi laisser orphelins les amateurs de romans scrutant l’envers du désir avec cette petite pointe acide d’humour juif. Mais aussi priver d’une conscience la confrérie des amoureux -désormais un peu transis- de la chose imprimée. En ces temps où l’écrit est mis sous pression par le tout à l’image d’un côté, par les textes hachés menu de l’autre, le coup est rude. Mais le geste d’une grande noblesse. Il faut du courage pour refermer la boîte à chaussures contenant ses décorations et ses souvenirs de gloire au goût d’éternité. Tout le monde n’est pas Alain Resnais -dans le meilleur des cas- ou Johnny Hallyday -dans le pire. Ces deux-là, qui n’ont plus rien à prouver, s’accrochent à la caméra et au micro. Le premier parce que la sève bouillonne encore dans le tronc, le second pour de plus obscures problèmes d’ego, de testostérone et de gros chèque. Lucide, Roth explique avoir perdu l’envie depuis que les sujets se dérobent comme une nuée d’oiseaux apeurés. Autrement dit, depuis que l’inspiration est partie sans laisser d’adresse. Au passage, il confie que l’accouchement romanesque a toujours été douloureux pour lui. En devenant écrivain, il réalisait un rêve d’enfant mais au prix chaque fois d’intenses contractions. Ce qui devrait rassurer tous ceux qui suent sang et eau pour arracher le mot juste au labyrinthe de la mémoire et le jeter sur la page blanche en espérant que la magie opère. Le chapitre Roth est-il définitivement clos? Certains artistes se dirigent vers la porte et puis font marche arrière (Soko), d’autres, plus prudents (Foo Fighters, Sharko…), parlent simplement de pause. On ne sait jamais. Entre les intempéries économiques et les rafales de regrets, on n’a parfois d’autre choix que de faire jouer sa police d’assurance. Quitte à ravaler sa fierté. Car les tickets de sorties ne sont pas remboursables. Quand on les revend, on y perd toujours. Mais à 78 ans et une carrière de général des lettres derrière lui, Roth ne devrait pas être rongé par le virus de la nostalgie. Il a fait le tour de la question. Voilà tout. Respect.

PAR LAURENT RAPHAËL

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