Plus de dix ans après avoir quitté la côte ouest des Etats-Unis, David Bartholomé a découvert la Big Apple. Une semaine, huit concerts… Focus a suivi Sharko dans sa mini-tournée new-yorkaise.

Jeudi 13 mars, 11 heures. Les bords encore paisibles de l’East River. Williamsburg est devenu depuis quelques années (pour combien de temps encore?) le fief des musiciens qui font bouillonner New York. On peut y croiser les filles d’Au Revoir Simone qui déjeunent dans ses restaurants végétariens. Les mecs de TV On The Radio qui y achètent leurs disques. Les membres de Grizzly Bear qui font leurs emplettes au supermarché. Quand les loyers ont grimpé en flèche dans l’East Village et le Lower East Side, artistes et freaks ont déménagé dans ce quartier postindustriel de Brooklyn. C’est ça aussi, New York.

Aujourd’hui, Bedford Street et ses alentours sont présentés comme la capitale du rock, de la mode et de la frime. Les prix de l’immobilier ont beau devenir prohibitifs, Sharko a dégoté un petit appartement bon marché à quelques pas du Music Hall of Williamsburg. Pas besoin de poser le doigt sur la sonnette qui renseigne l’Institute for the future of the book, David Bartholomé, le créateur du groupe belge, ouvre la porte. Réglé comme une montre suisse.

C’est la première fois qu’il remet les pieds aux Etats-Unis, là où tout a commencé, il y a une grosse dizaine d’années. A l’époque, il venait de passer cinq ans sur la côte ouest.

Entre Denver, Reno, Miami et San Francisco. « La culture est totalement différente. New York est animée par une in- croyable vitalité. La West Coast me semblait beaucoup plus relax. Je me souviens de stand-up comedy, de lectures, de poésie. Des mecs slammaient avant l’heure. Le grunge explosait dans le monde entier mais là-bas, les gens en avaient déjà ras-le-bol. Le folk revenait en force. L’unplugged était fashion. »

MTV allait d’ailleurs immortaliser des sessions acoustiques de Nirvana et Pearl Jam.  » Je pouvais très bien débarquer tout seul avec ma guitare, me faire accepter avec mon anglais scolaire et mes paroles bizarres. Avec l’apparition de l’anti- folk, ces chansons qui ne semblent rien raconter mais dans lesquelles tout se trouve, les gens avaient découvert une autre écriture que celle de Dylan, Simon et Garfunkel. »

D’HARLEM AU BAR BRANCHOUILLE

Courte promenade ensoleillée jusqu’à Bedford Street. Le temps de se trouver un petit déjeuner et un endroit agré- able pour poursuivre la conversation. Quand les murs commencent à perdre de leur cachet, avant de s’enfoncer dans des rues qu’on devine plus ternes et misérables, on s’ins- talle sur un banc devant une boutique.

Sharko a dégoté huit dates pour sa semaine à New York. Pas dans de grandes salles, mais dans de petits clubs. Comme le Sidewalk Cafe. Le Trash Bar à Brooklyn. Le Shrine à Harlem. « On a été invité par un festival à Toronto. Et on s’est dit que ce serait cool de faire une date à New York. On a réussi à y planifier deux concerts. D’autres salles se sont ensuite manifestées et nous nous sommes retrouvés avec une mini-tournée. On a commencé à la Arlene’s Glocery, un petit endroit avec un son énorme. On a aussi livré un set antifolk dans un bar branchouille. »

Au soir de notre rencontre, Sharko joue au Kenny’s Castaways, un café de Greenwhich Village, juste derrière la New York University. David a emmené dans ses bagages ses comparses Teuk Henri (guitare) et Julien Paschal (batterie). Sans oublier son tour manager et son ingénieur du son. Le malheureux Tonight ne peut même pas toucher à la console. Juste le droit de guider le syndicaliste sourd qui manipule les boutons.

Une vingtaine de personnes boivent un verre et finissent par hocher de la tête. Elles sourient en écoutant les paroles de Such a bone: « Elle n’a plus de pied mais je continue d’acheter des chaussures. Elle n’a plus de jambes mais je continue d’acheter des pantalons… Nous n’avons pas de vie sexuelle mais je continue d’acheter des préservatifs. »

« NEW YORK, I LOVE YOU… »

 » Je pense qu’il nous serait très difficile de forcer les portes du marché américain. Mais même s’il y a peu de monde pour assister à nos concerts, cette expérience me fait un bien fou, s’enthousiasme David. Ce bien fou, c’est de me dire que je ne m’évertue pas à écrire des chansons en anglais pour ne pas être compris. Coucher de nouvelles paroles sur papier me motive. Avec mes incohérences, mes structures grammaticales étranges. New York, ça change de la Vieille Belgique et de Frasnes-lez-Anvaing. » Même si David ressent parfois un sentiment désagréable qu’il avait perdu de vue en quittant les Etats-Unis: des relations humaines qui le déboussolent.  » Paris est une ville très dure humainement mais ici, c’est encore autre chose. Moins agressif. Plus étrange. Je me souviens d’avoir été perdu à San Francisco. Je n’arrivais plus à suivre mon instinct dans mes relations avec les gens. Face à leurs Nice to meet you qui sonnent faux. Face à ces murs de superficialité. Comme leurs étreintes distantes. Quand je veux prendre quelqu’un dans mes bras, c’est pour l’y serrer. Je comparerais la solitude new-yorkaise aux alvéoles des abeilles. Où que tu ailles, à quelque heure de la journée ou de la nuit, tu croises des gens dans la rue. Et ça, ça m’impressionne.  »

Même dans une ville aussi cosmopolite, riche et étrange que NYC, David, reconnu par une jeune fille dans le métro (You Guys are Sharko?), ressemble à une anomalie. « Les commerçants sont agressifs. Ils n’ont pas le sens de l’humour. Les gens s’offusquent si tu les charries, si tu fais preuve de cynisme, si tu uses de l’humour noir. « « New York I love you but You’re bringing me down », chante James Murphy sur le dernier album de LCD Soundsystem.

 » Certains manquent de la plus élémentaire culture générale, poursuit David. On cherchait le Dakota Building. Là où John Lennon a été assassiné. Une femme nous a répondu: John Lennon? Connais pas. Alors, on a insisté. Dakota Building. Dakota, comme l’Etat. Sorry. Je ne pense pas qu’il y ait un Etat de ce nom-là. Faut pas s’étonner que les New-Yorkais confondent la Belgique avec la Nouvelle Zélande et le Pays de Galles.  » En attendant, le leader de Sharko ouvre grands les yeux et les oreilles. Profite de ses journées pour découvrir la ville. Le centre du monde comme l’appellent ceux qui y ont plus ou moins durablement posé leurs valises.

 » A New York, tu peux très vite te bâtir une petite réputation, assure David. Un following de base. Pas dans les journaux et les magazines. Mais grâce au bouche à oreille. En donnant des concerts. Un petit peu comme à Londres. On a joué avec The Dig. Ce groupe n’existe que depuis trois mois. Il n’a pas encore enregistré de disques mais attire chaque soir 80 personnes dans les salles de concert. Ce public cherche le truc brut pas encore travaillé par le look, l’argent et le marketing. En Angleterre, Keane n’était pas encore signé qu’il se produisait déjà devant des centaines de cu- rieux. Mais ces gens-là, quand les groupes vendent des millions, ils ne leur plaisent plus.  » David refuse de parler d’élitisme et s’explique tout en images:  » Tu te promènes dans un champ l’été. Tu vois un arbre. Tu cueilles une pomme. Elle est délicieuse. Tu l’as découverte par hasard. Elle n’aura jamais la même saveur que celle que tu trouveras trois mois plus tard dans un supermarché.  »

Big Apple, Sharko la croque. Avec délectation.  » Je découvre New York mais musicalement, la ville me semble revivre après une longue période de disette. Je suis frappé par le mélange des genres et des cultures. Vampire Weekend constitue un bel exemple avec ses chansons très pop et ses grattes africaines. Je pense aussi aux Dirty Projectors que j’ai découverts récemment. Un groupe plein de références bizarres. Un mix de riffs eighties et de sonorités world. ça va plus loin que de placarder du rock sur du rap ou du rap sur du rock. Quand tu entends tous ces jeunes artistes, tu te dis que ça devait être la folie il y a trente ans avec les Talking Heads.  »

LA VOIX DU PEUPLE

Vendredi soir, il faut s’enfoncer dans Brooklyn pour aller voir le concert de Sharko. Book, coffee, democracy… Le Vox Pop est un café engagé. Genre produits bio, bouquins militants. Pour entamer et terminer la soirée, le patron sort sa guitare et reprend seul les Ramones. Devant l’établissement, on croise un énorme Afro-Américain. Une charmante armoire à glace qui s’arrête pour raconter son histoire et celle du quartier. Le castard bosse dans le bâtiment: « J’ai reconstruit trois fois cette bâtisse. Avant c’était une épicerie. J’ai aussi édifié cette demeure. Puis celle-là. Mais pas question que je participe au chantier de cet immeuble dégueulasse, poursuit-il en montrant des façades qu’on jurerait importées de Louvain-la-Neuve. Dans une autre maison là-bas plus loin, nous avons organisé une Demolition Party. ça a permis au propriétaire de faire des économies avant de lancer ses travaux. » Il n’économise pas sa salive. Il raconte ses expériences au cinéma et son petit rôle dans Chop Shop, deuxième film du cinéaste Ramin Bahrani ( Man Push Cart) présenté à Cannes, Toronto, Berlin… Davantage apparemment un Rosetta iranien qu’un long métrage américain.

Dans l’établissement où l’entrée est gratuite et la scène minuscule, Sharko se la joue collé serré. Ils sont une bonne vingtaine, conquis, à mettre l’ambiance. A commencer par le patron et le bruyant Musclor. La petite audience réclame Motels en rappel. Surprenant. Un gamin d’une petite dizaine d’années assiste à son premier concert (mieux que Chantal Goya et Henry Dès). Il a des étoiles dans les yeux et le sourire sur les lèvres. Il fait signer son exemplaire de Molecule et vient serrer David dans ses bras. Franchement. Sans retenue.  » Nous avons convaincu des rastas, des hard-métalleux, des vieux, des jeunes« , raconte Sharko sur son journal de bord. Avant de conclure d’un  » retour à Bruxelles, le métro qui va à du 2 à l’heure. Tout est si lent qu’on se croirait dans le Wisconsin« . Bienvenue à la maison.

Molecule, chez Bang! www.sharko.be www.myspace.com/sharkobelgium

TEXTE JULIEN BROQUET, à NEW YORK

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