À CHAQUE SINGLE SA FLOPÉE DE REMIX PLUS OU MOINS OFFICIELS. AU POINT DE VOIR PARFOIS L’ORIGINAL DÉPASSÉ PAR LE SUCCÈS DE SON ERSATZ DANCE. DÉCRYPTAGE D’UNE CULTURE PLUS QUE JAMAIS EN PHASE AVEC SON ÉPOQUE…

Impossible d’y échapper. Après avoir squatté les soirées tout l’été, le titre passe désormais en boucle sur les ondes radio, et est devenu n°1 au classement de l’Ultratop. I Follow Rivers, le 2e single du second album de Lykke Li, est définitivement devenu l’un des gros cartons de 2011. Sorti en janvier, il était pourtant passé relativement inaperçu. Il aura suffi d’un petit coup de pouce: celui de The Magician, dont le remix a propulsé l’original claudiquant de la Suédoise sur le dancefloor. The Magician, alias Stephen Fasano, est belge, et certainement pas un inconnu: il était de la première mouture d’Aeroplane, quand le projet était encore constitué du duo formé avec Vito De Luca. Juste avant de sortir leur premier album en 2010, le binôme avait déjà créé le buzz avec une série de remixes 3 étoiles… Au tableau de chasse, du beau monde, de Grace Jones aux Anglais de Friendly Fires en passant par Sébastien Tellier. Tous venus se plier à un exercice devenu incontournable, une véritable petite industrie, avec ses stratégies, ses « stars », ses agents chargés de dégoter les commandes…

Pas besoin de chercher loin l’explication. Le single étant redevenu le format musical de prédilection, il est logique qu’il se retrouve systématiquement décliné, parfois sur une dizaine de versions différentes. Mais l’ex-45 tours n’est pas le seul à être plongé dans la machine à remix. Radiohead vient par exemple de sortir TKOL RMX 1234567, qui repasse entièrement en revue leur album King of Limbs, paru au printemps dernier. Autre genre, mais même principe avec Lady Gaga: son dernier Born This Way bénéficie d’une nouvelle version, augmentée d’un CD de remix. Quelques mois avant de disparaître, en mai dernier, le vétéran du spoken word Gil Scott-Heron a pu lui apprécier la relecture que le jeune Jamie XX avait fait de son dernier I’m New Here

Le réflexe remix n’est évidemment pas neuf. Les DJ jamaïcains ont probablement été les premiers à proposer plusieurs versions d’un même morceau. Déjà dans les années 60, des cadors comme King Tubby ou Lee Scratch Perry produisaient des versions spéciales des morceaux réalisés dans leur studio. D’abord en retirant simplement la voix originale, pour laisser la place aux improvisations du toaster; ensuite en bougeant les lignes instrumentales, poussant généralement les basses pour accentuer l’effet du titre lors des sound-system organisés en extérieur.

From disco to disco

Quelques années plus tard, à New York, les DJ disco se lancent dans le même type de démarche. Le premier réflexe est souvent de rallonger le titre en question. Dans Turn The Beat Around, Peter Shapiro explique: « La transe rituelle digne des derviches tourneurs qui envahissait certains clubs new-yorkais exigeait une intensité plus étendue et plus diffuse que le « wham-bam-thank-you-ma’am » auquel se résumaient les 3 minutes réglementaires du single pop. «  Tom Moulton est l’un des pionniers en la matière. Ayant travaillé un temps dans le business musical, il a accès aux bandes, ce qui lui permet par exemple de réorganiser et d’étendre le Do It (’til You’re Satisfied) des B.T. Express. Le groupe a beau détester la relecture de plus de 5 minutes, le morceau deviendra un tube. En 1975, Moulton bosse encore sur le I’ll Be Holding On d’Al Downing. Quand il arrive au studio pour le mastering, plus aucune matrice de 45 tours n’est disponible. Il se rabat du coup sur une matrice 12 pouces qui fait exploser le son du morceau… DJ au Galaxy 21, à New York, Walter Gibbons va pousser les choses un peu plus loin, en réassemblant complètement le Ten Percent de Double Exposure: il deviendra le premier maxi disponible en magasin, influençant des générations de DJ.

A peu près au même moment, les premiers DJ hip hop commencent également à chipoter avec leurs platines pour manipuler les morceaux (Grandmaster Flash, Kool Herc), avant de plonger tête baissée dans les nouvelles possibilités offertes par le sampler (Double Dee and Steinski). Le grand remue-ménage peut débuter…

Au fil du temps, l’art du remix prendra en effet de plus en plus de place. Dans les années 80, le label pop-situationniste ZTT fait du 12 inch un exercice imposé pour ses poulains (Frankie Goes To Hollywood, Art of Noise…). En 86, les Pet Shop Boys sortent leur 2e album: Disco est entièrement constitué de remix de leur 1er LP, Please. Jusque-là, le remixeur reste encore au service du morceau. Mais petit à petit, la charge se renverse: en 93, Sasha est le 1er DJ à sortir un album de remix d’autres artistes sous son propre nom. Dans Last Night A DJ Saved My Life, Bill Brewster et Frank Broughton expliquent bien comment le centre de gravité s’est déplacé petit à petit, les remixeurs prenant de plus en plus leurs aises avec les originaux: « Finalement, les remixeurs reçurent carte blanche pour retirer ce qu’ils voulaient de l’original et y ajouter ce qu’ils trouvaient par ailleurs. «  David Morales, l’un des spécialistes du genre: « Vous commenciez à glisser une nouvelle musique sur les remixes. Tout ce qui restait de l’original était la voix. » Exemple par l’absurde: en 90, sans autorisation, le duo anglais DNA obtient un tube avec un « remix » de Tom’s Diner, un acapella de Suzanne Vega. A ce jour, le morceau reste le plus gros hit de la folkeuse américaine. Même démarche avec Tori Amos, en 96: sur le remix de Professionnal Widow, Armand Van Helden décide de ne conserver que la partie vocale… Le remixeur est ainsi passé du stade de gentil bidouilleur à celui d’agent central, ouvrant au morceau original de nouvelles portes, une nouvelle crédibilité, voire de nouveaux marchés. Aujourd’hui, ce sont d’ailleurs les groupes qui prennent de plus en plus la place des remixeurs, habituellement DJ. Les corbeaux de The Horrors remixent par exemple Lady Gaga (la version très krautrock de Bloody Mary), tandis que Metronomy (dont le single The Bay a été « reworké » par Erol Alkan) s’amuse à faire un sort à Diplo.

Remix 2.0

Ce n’est pas un hasard si tout le monde s’y met. La révolution numérique, l’échange des fichiers à tout va,… La nouvelle donne 2.0 a bouleversé les manières de faire. Tout devient matière à collage, découpage. La vague de mash-up des années 2000 en est l’exemple-type,… suscitant les rencontres les plus invraisemblables. Comme quand les 2ManyDJs mixent dans un seul et même morceau les Stooges et les rappeuses de Salt’n’Pepa: aussi improbable que jouissif.

Le remix est ainsi devenu le nouveau paradigme. Un modèle concernant non plus uniquement la musique, mais l’ensemble des productions culturelles. C’est en tout cas la théorie du professeur de Harvard, Lawrence Lessig qui, en 2008, sort un ouvrage intitulé Remix: Making Art and Commerce Thrive in the Hybrid Economy. Il n’y a plus de relation unilatérale entre le producteur et le consommateur, insiste-t-il. Chacun peut aujourd’hui reprendre à son compte un contenu et le détourner, le retravailler, le transformer. Le grand mix est ouvert…

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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