RÉCOMPENSÉ D’UN OUTSTANDING CONTRIBUTION TO PHOTOGRAPHY AWARD PAR SONY & C° À LONDRES, WILLIAM KLEIN, MIXEUR-PRÉCURSEUR D’UNE PHOTO KINÉTIQUE ÉCLATÉE, ÉTAIT LOGIQUEMENT SUR NOTRE AGENDA LONDONIEN. CHRONIQUE D’UNE RENCONTRE RATÉE.

A quoi ressemble un photographe? On connaît la tronche de Doisneau -papy parisien mangeur de béret-, de la vedette Helmut Newton -Allemand tendance carrosserie monégasque-, d’Anton Corbijn -grand corps hollandais pas forcément malade- ou d’Hedi Slimane -pâle garçon aux tendances Libertines-: mais comment est William Klein? La célébrité (relative) a ceci de formidable qu’elle imprègne sans cesse la réalité d’un mythe spongieux, embrouille les dates, nous amène avant-hier alors que le soir tombe déjà. Confond jeunesse éternelle et vieillesse sans retour. C’est le cas de William Klein, né le 29 avril 1928 à New York, Parisien depuis 1948, devenu fameux pour ses images de New York fifties -hachurées et graineuses-, sa manière de transporter la mode en dehors du studio quand cela ne se fait pas encore (Vogue et les sixties) et son engagement pour la cause noire amenant des documentaires sur Little Richard, le panther Eldridge Cleaver et le plus grand de tous -le titre du film- Mohamed Ali. Sans oublier un long-métrage simili-culte, Qui êtes-vous Polly Magoo?, où dans un noir et blanc éclaté, il raconte déjà la perversité de la médiatisation. On est en 1966 et Klein définit une route calée entre underground chic et mainstream profitable. Au hasard, citons encore cette image de pochette où il fit poser Serge Gainsbourg en transsexuel précieux ( Love On The Beat, 1984). Alors à quoi ressemble William Klein? On en était resté au poster composite réalisé par lui-même de ses sixties -exposé à la Somerset House jusqu’au 20 mai- où on le voit, quadra sportif tenant la main d’un mini-môme dénudé, son fils on présume… On le retrouve à Londres, à la soirée pince-fesses de Sony, vieux cheval à crinière blanchâtre mangeant son dessert précieux, ignorant le brouhaha. On se présente, il lève un £il, s’en fout et attaque le sorbet. Ce soir-là, il ne monte pas sur scène pour recevoir son Outstanding Contribution -opération récente du genou oblige- mais dit au micro des choses un brin moqueuses sur Sony… Seconde tentative le lendemain quand on le croise inopinément sortant -difficilement- d’un taxi et qu’il refuse d’être photographié. Cela le  » dérange« : pas mal pour un mec qui a passé sa vie à figer l’image d’autrui. On est déjà un peu remonté et on repense à la rencontre avec le motherfuck@r Lou Reed en 2003 à New York: c’est peut-être une question de ville d’origine, mais la prétention n’étant pas encore un Beaux-Arts reconnu, on s’accroche. Venu le moment de l’interview, on apprend la nouvelle: Monsieur Klein s’étant endormi devant l’interlocutrice précédente, la rencontre est annulée.

Boxeur-peintre halluciné

Alors quoi? On tâte banalement de l’infameuse distance entre l’£uvre et son faiseur? Entre la légende et une forme de banalité quotidienne où la photographie -cela pourrait être la musique ou le badminton- est finalement plus épatante que son auteur? Sans doute, même si à la bande annonce des Awards, les témoignages abondent pour dire que William est grand, voire géant. Jean-Paul Goude, le Duracell humain, est extatique et Martin Parr -a priori à cent lieues du travail de Klein- s’étrangle de compliments à la sauce menthe. Klein le travailleur le mérite: on peut voir dans sa photographie libérée un modèle qui va inspirer les Avedon, Helmut Newton, Jeanloup Sieff et autre David Bailey qui feront davantage carrière commerciale. Parce que comme Guy Peellaert, Klein est un bâtard artistique, un VJ d’avant les platines, un « scout » d’avant-garde. Un insulaire qui bâtit ses propres îles. Des livres existent, même si son fondamental -le New York de 1956 qui défrisa y compris Robert Frank- est devenu un introuvable collector. Comme ses éponymes ouvrages ultérieurs sur Rome ou Moscou, ou peut-être plus dépaysant encore, son Tokyo de 1964 où la société japonaise post-conflit est scrutée de manière transversale, à l’image de ce boxeur-peintre halluciné dans son mouvement de yakuza du trait. Dans ses photos qu’il met en page lui-même avec un arsenal de lignes brocardées, de typo majeure et de cadres imaginatifs, peintures d’une Renaissance à venir, Klein fait preuve de post-modernisme. Hasard cosmique? La Cinematek de Bruxelles programme ce 19 mai le film le plus événementiel de Klein: Muhammad Ali The Greatest. Chronique du fameux puncheur de Louisville, alors qu’en février 1964, il va atomiser le champion en titre, Sonny Liston. Hormis le montage non narratif -une rareté à l’époque- et un noir et blanc qui rappelle la liberté farouche de Godard, Klein recueille le meilleur d’Ali: sa silhouette, ses mots, sa façon de transcender son propre destin. On peut bien sûr y voir une allégorie du propre parcours de Monsieur Klein. l

u À VOIR: MUHAMMAD ALI THE GREATEST, LE 19 MAI À LA CINEMATEK, BRUXELLES, WWW.CINEMATEK.BE

u EXPO À LA SOMERSET HOUSE DE LONDRES JUSQU’AU 20 MAI, WWW.SOMERSET.ORG.UK

TEXTE PHILIPPE CORNET, À LONDRES

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content