Le grand alibi de Pascal Bonitzer renoue avec un genre jusqu’il y a peu présumé mort et enterré, le whodunit, ou film à énigme. Explications d’un esthète…

C’est l’une de ces énigmes comme le cinéma les affectionne: longtemps sous-genre extrêmement populaire, le whodunit avait, au tournant des années 80, pratiquement disparu des écrans, mort sans cérémonie, pour ainsi dire. Une vingtaine d’années plus tard, le voilà qui a repris des couleurs. Un brin désuet, sans doute, mais fringant comme rarement, des cinéastes comme Bruno Podalydès, Pascal Thomas et maintenant Pascal Bonitzer ayant remis au goût du jour cet avatar classique du cinéma policier. Le whodunit, c’est en effet le jeu maintes fois répété de l’énigme criminelle et de sa résolution finale – ce jeu qu’un Hitchcock réprouvait, « bien qu’il y ait sacrifié en pratique bien plus souvent qu’il ne le dit », rappelle Bonitzer. Comme dans tant de films à énigme, un flash-back s’impose à ce stade…

UNE ODEUR DE NAPHTALINE

La pâte de ce genre extrêmement codé, c’est bien entendu le roman à énigme et à détective omniscient, dont les maîtres restent Agatha Christie et Conan Doyle. A partir des années 30, les adaptations de l’une et de l’autre se multiplient: Austin Trevor campe Hercule Poirot dans Lord Edgware Dies en 1934, alors que Sherlock Holmes trouve en Basil Rathbone son meilleur interprète dès 1939 (dans Le Chien des Baskerville, Nigel Bruce incarnant non moins durablement le docteur Watson). Côté francophone, le Rouletabille de Gaston Leroux inspire Marcel L’Herbier, alors que le Maigret de Simenon entame une longue carrière à l’écran – il passera, avec un succès variable, de Renoir ( La nuit du carrefour) en Duvivier ( La tête d’un homme); de Delannoy ( Maigret tend un piège) en Grangier ( Maigret voit rouge).

Parce qu’il déborde le cadre exclusif de l’intrigue, l’univers de Simenon est, du reste, celui qui se prête le mieux au jeu de la transposition. Ce qui n’empêchera pas le monde d’Agatha Christie de générer encore nombre d’adaptations, qu’il s’agisse de la série des Murder de George Pollock, dans les années 60, avec Margaret Rutherford dans le rôle de Miss Marple, ou des superproductions alignant pléiade de stars des années 70 et 80 – les Murder on the Orient Express et autre Death On the Nile, où Albert Finney et Peter Ustinov incarnent successivement Poirot. Depuis, plus rien, ou fort peu; et si ces entreprises apparaissent encore fort plaisantes, elles sont aussi assorties d’une tenace odeur de naphtaline. D’où, sans doute, l’érosion du genre.

Au moment d’adapter Le Vallon, encore un roman de la reine du polar, Bonitzer souligne d’ailleurs avoir « décidé de ne pas faire une sorte de film antiquaire qui épouserait la couleur locale du roman, et se passerait avec un Hercule Poirot à moustaches cirées et des personnages très britanniques et très gentry; il était évident que j’allais essayer de me l’approprier ». Jusqu’à, d’ailleurs, dans Le Grand alibi, gommer le personnage de Poirot – « comme il disparaît dans l’adaptation théâtrale qu’avait faite Agatha Christie du roman ». Le choix de ce titre participe de la même entreprise: « Le Vallon est assez particulier dans le chef de la romancière, parce que l’intrigue policière et l’intrigue sentimentale y ont une égale importance et ne se recoupent pas complètement. On est dans un roman où les personnages ont une épaisseur psychologique, et l’intrigue amoureuse une épaisseur plus grande que dans d’autres. Cela ne me paraissait donc pas insurmontable de m’y attaquer. »

BASCULEMENT

Un whodunit, donc, mais dépassant la stricte mécanique de déduction qui, en général, en limite la portée à l’écran.

Ainsi dépoussiéré, assaisonné encore d’un soupçon de comédie, voilà donc que le genre semble connaître une énième jeunesse. Un phénomène qui ne manque pas d’étonner, encore que Pascal Bonitzer avance une explication: « J’ai le sentiment qu’il y a une vogue, peut-être éphémère, du whodunit, de l’énigme policière classique située dans un milieu policé et bourgeois, par rapport à une tendance qui est en train de s’essoufler ou de basculer dans un autre genre, à savoir le thriller à base de psychopathe et de serial killer – un genre qui a explosé avec Le silence des agneaux , mais qui tend aujourd’hui à s’épuiser. Ce type de thriller est passé du côté du film d’horreur, avec des films comme Saw , ou Hostel , qui ne sont pas dénués d’intérêt, mais on n’est plus dans le registre du film policier. Ce qui permet un retour à une sorte de classicisme de ce dernier. Il y a une demande du public pour ce type de film, qui avait été mis sous le boisseau puisqu’il y a eu le film noir américain des années 50, qui a donné pas mal d’avatars, avec un certain type de détective et un certain type de milieu qui n’était pas bourgeois. Là, on y reprend goût, parce que ce genre de récit a pour lui l’avantage du classicisme, c’est-à-dire la permanence et la durée. » Bon sang ne saurait mentir, en somme.

TEXTET JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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