AVEC I, DANIEL BLAKE, LE CINÉASTE BRITANNIQUE ACCÈDE AU CERCLE TRÈS FERMÉ DES RÉALISATEURS AYANT REMPORTÉ DEUX PALMES D’OR.

Treizième long métrage de Ken Loach à avoir les honneurs de la compétition cannoise, I, Daniel Blake lui aura donc valu une seconde Palme d’or, dix ans après celle de The Wind that Shakes the Barley. Une nouvelle consécration quelque peu inattendue, la rumeur de la Croisette voyant plutôt le film repartir avec le prix d’interprétation pour Dave Johns, impérial dans le rôle-titre. Mais soit, à bientôt 80 printemps (le 17 juin prochain), le réalisateur britannique n’a rien perdu de sa verve. Et I, Daniel Blake retrace ainsi avec force l’histoire d’un homme qu’un accident cardiaque contraint à solliciter une indemnité d’invalidité, pour se retrouver en butte à une bureaucratie kafkaïenne et être balloté au gré d’un cauchemar administratif, au risque de la noyade. Soit un film dressant un état des lieux affolant de la réalité sociale de l’Angleterre tout en dénonçant avec force les dérives de l’ultralibéralisme, du démantèlement cynique des services d’aide aux humiliations à répétition allant de pair… Du Loach vintage, donc, à découvrir sur les écrans belges en novembre.

La colère vous a-t-elle inspiré ce projet?

Nous voulions, mon scénariste Paul Laverty et moi, dire que de telles choses arrivent. Une fois que l’on en a conscience, impossible de rester indifférent. Notre démarche n’a rien de celle d’anthropologistes qui s’aventureraient en terre inconnue. On ne peut ignorer ces gens qui constituent une part importante de la population. Deux ou trois millions de personnes ont fait l’objet de sanctions ces dernières années, il s’agit d’un phénomène de grande échelle. La colère est entrée en ligne de compte, et elle est largement répandue. Au départ de celle-ci, nous espérons susciter des discussions pour savoir comment on en est arrivés là, et comment on peut changer cet état de fait.

Vous ne deviez pas manquer d’exemples pour illustrer cette situation. Pourquoi avoir circonscrit le propos aux cas particuliers de Daniel Blake, et de Katie, cette mère célibataire peinant à joindre les deux bouts?

Nous aurions pu raconter des histoires plus horribles encore, impliquant des gens souffrant de handicaps physiques ou des personnes suicidaires. Dans certains bureaux où l’on dispense les aides sociales, ils ont des consignes sur la façon dont traiter ces dernières -ils savent que des gens vont être poussés au suicide. Mais nous voulions des personnages intelligents, guère susceptibles a priori de se laisser abattre. Daniel a un métier, il connaît ses droits, il a du répondant, et ne constitue donc pas une victime évidente. Et Katie de même: elle étudie, a des ambitions et n’a rien d’une victime toute désignée. C’était important, afin d’étoffer leur parcours.

Comment expliquez-vous qu’il y ait un tel sentiment de résignation?

La classe politique exerce un contrôle fort, avec le soutien de médias écrits et audiovisuels dociles, la BBC comme les chaînes commerciales. Si d’aventure ils abordent ces sujets, c’est pour dire qu’il s’agit d’une conséquence nécessaire de la libre entreprise, mais que ce qui est possible sera entrepris afin d’améliorer les choses. Quand les informations sont accommodantes, il est difficile pour la majorité des gens, qui ne sont impliqués ni dans les campagnes ni dans la politique, de lutter. La presse populaire a deux cibles privilégiées: les réfugiés et les immigrants d’une part, les allocataires sociaux d’autre part. Et elle regorge d’histoires vicieuses à charge des personnes ayant besoin d’assistance. C’est très difficile, dans une telle atmosphère. Il faut commencer par combattre ce courant.

Pensez-vous qu’un film puisse contribuer à faire changer les choses?

Je ne sais pas. Un film n’est qu’une petite voix dans un choeur beaucoup plus puissant. Et quand on chante un air différent, on risque de voir sa voix noyée. La responsabilité première d’un cinéaste se situe par rapport à la vérité de ce qu’il fait. Qu’on procède de façon expressionniste, surréaliste ou autre, il faut en respecter la vérité intérieure. C’est ce que nous essayons de faire, en espérant que les spectateurs en retirent quelque chose.

J.F. PL.

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