JEAN-JACQUES ANNAUD FAIT DU CINÉMA POUR RÊVER. EXPLICATIONS LORS D’UNE MASTERCLASS DISPENSÉE À L’OCCASION DU DERNIER FESTIVAL DE MARRAKECH.

C’est l’un des attraits du festival de Marrakech: chaque année, des cinéastes de renom s’y relaient pour dispenser des masterclass à l’attention des étudiants et du public. Après Jim Jarmusch ou Alfonso Cuaron en 2009, les frères Dardenne, Lee Changdong et Francis Ford Coppola en 2010, Jean-Jacques Annaud comptait, au même titre que Marco Bellocchio et Terry Gilliam, au nombre des réalisateurs invités à partager leur expérience en décembre dernier. Morceaux choisis.

Le désir de cinéma. « Le désir de devenir cinéaste, il vient d’un petit garçon sage, dans une maison sage de la banlieue de Paris, avec un tout petit jardin entouré de murs. Mon plaisir, c’était donc de me retrouver dans une salle de cinéma, devant un écran, et de voir le monde s’ouvrir devant moi. Un de mes cousins avait une petite caméra, et j’ai pensé qu’avec elle, on pouvait fabriquer du rêve qui, un jour, se retrouverait sur un écran. C’est une idée d’enfant qui, finalement, a marché. »

Le premier film. « Mon premier film, La victoire en chantant , je me suis battu 7 ans pour le faire, pour trouver le financement. C’est un film qui venait de moi, dont j’avais trouvé l’idée quand j’étais au Cameroun. Personne ne voulait financer un jeune metteur en scène, certes connu dans les films publicitaires, pour un projet très anticolonialiste et assez antifrançais. La Côte d’Ivoire a fini par apporter 51 % du financement, et le film a gagné aux Oscars sous ses couleurs. Ce film très personnel, personne ne l’a vu quand il est sorti. Je n’en ai éprouvé aucun ressentiment, mais un peu plus tard, il m’a valu l’Oscar. Je suis donc content de 2 choses: d’avoir eu l’Oscar, bien sûr, mais surtout d’avoir fait le film que voulait mon c£ur, et de ne pas m’être fâché parce qu’il n’a pas marché. Je suis content de m’être battu pour un film sincère, et non pour un film de commande. »

Relever des défis. « Je ne fais des films que parce que j’ai une envie folle et soudaine qui m’accapare. Pour avoir cette envie folle, je n’oublie pas les films que j’ai vus: à quoi bon se donner du mal, si cela a déjà été fait. Et je m’aperçois que si cela n’a pas été fait, c’est parce que c’est très difficile. Pour La guerre du feu , Gérard Brach, mon partenaire d’écriture, m’a demandé: « C’est bien gentil, mais dans quelle langue on va le faire? » Et moi de lui répondre qu’on allait l’inventer, la langue. Mais quand vous vous retrouvez devant des financiers, ils vous prennent pour un fou furieux. Pour celui-là aussi, je me suis battu 4 ou 5 ans, et je crois avoir eu les gens par lassitude. »

Le choix d’un sujet. « Chacun de mes films m’a coûté 3 ans à 3 ans et demi de ma vie. C’est comme en amour: si vous n’êtes pas passionné au départ, il ne faut pas y aller. Il faut avoir une envie phénoménale, farouche de faire un film. Il faut que ça vienne du c£ur, et d’une raison personnelle. On ne peut pas fabriquer la passion. »

Les acteurs. « Chaque acteur est une personnalité différente, et il faut les traiter en fonction, on ne peut pas avoir de règle absolue. L’important, c’est qu’ils fassent devant et pour la caméra ce que vous avez rêvé qu’ils fassent. Toutes les méthodes sont bonnes. Brad Pitt, à l’époque où j’ai travaillé avec lui, demandait une longue mise en place, il avait besoin de 5 ou 6 prises pour monter en puissance. Sean Connery, lui, met toute son énergie dans les 2 premières prises. Et puis, il y a les tenants du method acting et d’autres, comme Connery toujours, qui vous disent: « Pas la peine que je ressente quoi que ce soit, l’important c’est que le spectateur ressente les émotions. » Et les 2 approches fonctionnent. Il faut s’adapter à l’acteur, parce que l’acteur est une matière fragile, et qu’on doit l’accompagner, et l’aider. »

Un atout-maître.« La patience. Quand, comme dans Or noir , vous avez une scène avec 700 chevaux et chameaux qui attendent, que tout est prêt, et que le boîtier qui règle les explosifs ne fonctionne pas, il faut savoir garder son calme. Un jour, pour un film publicitaire, j’avais bloqué l’ensemble de la ville de Clermont-Ferrand la journée entière. Rien ne marchait, et une dame, dans la figuration, était dans un tel état de tension, qu’elle a fait une crise cardiaque. Moi-même, j’y ai laissé ma voix. Et je me suis dit: non, ça n’est que du cinéma, il ne faut pas mourir pour un film, et surtout pas pour un film publicitaire. J’essaye de faire en sorte de garder mon calme dans les situations les plus invraisemblables. »

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À MARRAKECH

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