LE TOURNAGE DU DEUXIÈME LONG MÉTRAGE DES FRÈRESMALANDRIN S’EST ACHEVÉ CET ÉTÉ DANS LE NORD CANADIEN. AVANT CES QUELQUES JOURS D’EXODE, ILS ONT POSÉ LEURS CAMÉRAS À OSTENDE, LIÈGE ET BRUXELLES. VISITE DE PLATEAU

C’est un bar barré au fin fond de Forest. Pas loin de la gare. Donc rue de la Station. Il y a de la pin-up sur les murs, de la pinte imprégnée, de la lumière tamisée, des tatouages sur les bras du propriétaire des lieux. Et puis, quelques personnes qui s’affairent pour planter le décor. On disait que c’était Chez Jacky et qu’Yvan, Wim et Pierre s’y retrouvaient autour d’une urne d’infortune pour parler dernière tournée.

La soirée du mercredi 4 juin 2014 est noire et pluvieuse. Heureusement, le tournage du nouveau long métrage des frères Malandrin a le bon goût de se dérouler à l’intérieur, au Break, le troquet du coin. Il s’agit d’une séquence clé de Je suis mort mais j’ai des amis, un petit caillou angulaire, le moment où Pierre consent bon gré mal gré à suivre ses copains dans un pays lointain.

Devant la caméra de Stéphane et Guillaume Malandrin, Bouli Lanners (Yvan), Wim Willaert (Wim) et Serge Riaboukine (Pierre) se donnent la réplique pour le plus grand bonheur des réalisateurs français, ravis de la performance, contents de leurs trouvailles. Quelques claps, toutefois, histoire de se mettre bien dedans, de réajuster certains gestes, certaines intonations. Mais l’essentiel y est dès la première prise. Les trois acteurs campent avec un naturel trompeur ces quasi-quinquas arrimés à leur groupe de rock depuis le lycée, fraîchement orphelins de leur chanteur, accrochant au comptoir le promontoire de leur dernière lubie: offrir aux cendres de Jipé une tournée américaine (du nord). Jipé est mort. Vive les Black Bears. Ce qu’il en reste, du moins; pour l’heure, un bassiste, un guitariste, un batteur récalcitrant, qui se laisse finalement embarquer. Joie dans les yeux vitreux. Effusion tendrement virile. Santé! A Jipé! Et coupez!

L’homme s’entête

Après une quinzaine de jours de tournage en Belgique, direction Shefferville, au Québec, où l’équipe a pu se plonger dans la partie road-trip du film. Une nécessité scénaristique pour Stéphane et Guillaume Malandrin qui tiennent à saisir le déplacement abrupt de ces « hommes immobiles », rockers immatures, dolmens pétris de certitudes et de fissures, confrontés à ce qu’ils ne connaissent plus, coperniciens forcés sur des terres esseulées. L’occasion pour les deux frères d’aborder de plein fouet la comédie et de truffer l’expédition de rocambolesque, d’actes manqués éventrés, mais surtout d’amitié.

« Ça faisait longtemps que nous voulions parler de nos amis musiciens à travers un film à la fois comique et tendre », écrivent-ils dans leur note d’intention. La vieille scène punk rock, ils connaissent, ils apprécient, ils côtoient depuis des années. Alors, bien sûr, « nous avons eu envie de faire un film sur eux, ces derniers indiens, ces gueulards, ces soiffards. Leur passion du rock ressemble à notre passion du cinéma. » Le nouveau long métrage de l’écurie Versus Production sera donc viscéralement musical, sans dénoter pour autant avec la première oeuvre des frères, installée dans un genre bien différent. Thriller inquiétant, oeuvre noire, Où est la main de l’homme sans tête? était déjà savamment rythmé par la belle BO de Jeff Mercelis. Ce dernier est reconvoqué ici, avec Be Plouvier, pour asseoir les parties musicales du film. L’homme sans tête, Jacky Lambert, par ailleurs musicien, rempile lui aussi pour le rôle-titre. A ses côtés, Wim Willaert, tout aussi musicos, ainsi que Bouli Lanners, habitué des concerts et qui a « toujours fantasmé le fait d’être dans un groupe de rock », complètent le casting.

Bouli Lanners ne boude pas son plaisir de participer au nouveau projet des frères qu’il connaît bien: « J’ai lu le scénario il y a quatre ans et j’ai directement adoré. Ça m’a beaucoup fait rire.[… ] Ça fait du bien d’avoir une comédie qui n’est pas axée sur le verbe mais sur les situations. C’est drôle et c’est absurde », s’enthousiasme l’acteur, qui a vaincu sa phobie de l’avion pour pouvoir partir au Canada. Un stage intensif à Air France plus tard, le voilà prêt à décoller après 20 ans d’abstinence. Le côté road-movie n’est pas pour déplaire au réalisateur d’Eldorado, amoureux du voyage et des grands espaces, en témoignent ses oeuvres cinématographiques et picturales. Car avant d’être acteur, puis réalisateur, Bouli Lanners est peintre. C’est là sa première vocation, délaissée entre-temps pour le cinéma, mais à laquelle l’auteur ne désespère pas de retourner un jour, quand il sera fatigué de réaliser (pas de jouer, il aime trop ça). De réalisation, il est cependant encore question puisque son prochain projet est le tournage de son propre film, Les Premiers, les derniers.

En attendant de se glisser à nouveau derrière la caméra, l’acteur s’applique dans son rôle de bassiste raté, goûtant le charme du film de mecs: « C’est un film de bande de potes, fait par des potes, mais avec rigueur », souligne-t-il.

« C’est un film d’hommes », résument ses auteurs, qui espèrent le voir sortir en 2015.

TEXTE Siham Najmi

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