L’été dernier, le trublion anversois Jan Fabre faisait trembler le Louvre sur ses fondations en déployant dans les salles des grands maîtres flamands ses installations fantasmagoriques. Pièce maîtresse de cette invasion pacifique venue du Nord, un énorme ver de terre rose affublé de la tête de l’artiste serpentait au milieu des Rubens… Un « dialogue » à travers les siècles accueilli tantôt avec curiosité, tantôt avec dégoût. N’en déplaise aux gardiens du temple, le jeu de la confrontation est à la mode. Avec en tête de gondole, la collision temporelle. Après Fabre, Jef Koons se paya ainsi les ors de Versailles, accrochant dans les salons ampoulés ses homards géants aux couleurs pop. Puis ce fut au tour de Picasso de se mesurer aux cracks du pinceau au Grand Palais. Aujourd’hui, c’est à Bâle que cette nouvelle vague vient déposer son écume. La Fondation Beyeler offre en miroir à ses Giacometti, Cézanne et autres trésors locaux des sculptures « primitives » d’Afrique et d’Océanie. Un face à face souvent déroutant, qui prend à revers notre hiérarchie inconsciente des valeurs – les plus avant-gardistes ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Saut dans le temps mais aussi dans l’espace. Le colloque singulier par-delà les frontières renouvelle également le regard. Pour en goûter toute la saveur, il faut aller se promener dans un livre, ou plutôt un monument, dont le titre et l’embonpoint suffiraient à filer la migraine, mais qui se révèle au final étonnamment vivifiant et digeste, 30 000 ans d’art (Phaidon). Plutôt que de débiter les grands courants esthétiques en tranches sous cellophane, les auteurs ont choisi de mettre en parallèle des £uvres de la même époque mais distantes de quelques centaines ou de quelques milliers de kilomètres, en remontant de la préhistoire jusqu’à nos jours. Vertigineux. Des fils invisibles se nouent à toutes les pages. On passe de l’incrédulité à l’admiration. A bien y réfléchir, ce qu’expérimentent les arts plastiques, la musique en a fait son fond de sauce depuis des lustres. C’est le mélange des genres qui fait bouillir la marmite musicale. Prenez n’importe quel baladeur MP3. Dans ses entrailles gargouillent des sonorités aux épices les plus variées. Un peu de jazz par-ci, un zeste de rock par-là… C’est ce qu’on appelle l’art d’accommoder les plats.

Par Laurent Raphaël

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content