Comment consomme-t-on la musique à l’ère du tout Internet? Qui achète? Quoi? Où? Et comment? Tendances et nouvelles habitudes.

Dans l’esprit des nouvelles générations, la musique enregistrée n’a d’autre prix qu’un abonnement adsl. Entre 2002 et 2007, les meilleures ventes de disques ont été divisées par 4. La faute au téléchargement, aux copies pirates, à l’éclatement des dépenses loisirs, à la baisse du pouvoir d’achat. L’inquiétude due à la crise financière n’arrangera guère les choses. Il n’y a pas de secret. On a les limites de son porte-monnaie.  » Tout le monde sait se passer du CD. Par contre, il existe des frais incompressibles. On ne rediscute pas son loyer avec le propriétaire quand on se sent étranglé« , explique Dédé, gérant du Caroline Music, l’un des derniers indépendants de Bruxelles.

Le disque souffre. Et pourtant, son prix a baissé.  » Une clientèle, ça doit se régénérer et la nouvelle génération est celle qui copie et télécharge le plus. Avant, les habitués d’un magasin spécialisé comme le nôtre avaient entre 17 et 40 ans. Aujourd’hui, ils oscillent entre 30 et 50 balais. »

Seuls les collectionneurs et les idéalistes surinformés continuent de payer pour garnir les étagères de leur discothèque.  » La clientèle qui n’achetait que les grosses saucisses se contente de télécharger, poursuit Dédé . C’est elle qui disparaît de nos rayons. La crise, chez nous, se ressent moins sur les achats de Mercury Rev et de TV On The Radio que sur ceux de Madonna. Avant, nos meilleurs vendeurs s’appelaient Depeche Mode et Moby. Aujourd’hui, ils se nomment MGMT et Beirut. L’industrie décontenance le client avec sa politique de prix et déprécie rapidement le produit mais le chaland a tendance à attendre et à acheter son CD au bon moment. »

 » Sur trois disques vendus, l’un est une nouveauté, l’autre un mid price et le troisième un back catalogue à prix plein« , résume Stéphane Mangin, directeur commercial de la Fnac. En France, le nombre de disquaires indépendants est tombé de 3 000 à 200 sur environ 30 ans. En Belgique, on a aussi vu disparaître les disquaires de proximité les uns après les autres.

iPod et MP3

De nouveaux circuits de vente se sont développés. Certaines enseignes utilisent le disque comme un produit d’appel sur lequel elles ne réalisent pratiquement aucun bénéfice. Certains journaux et magazines proposent des CD à prix défi. Quant au commerce online, il fait son chemin.  » Il représente, d’après les maisons de disques, 8 % du marché global, précise Stéphane Mangin. On parle ici de ventes physiques, commandées sur Internet et envoyées au client, aussi bien que de téléchargement payant (relativement limité) et de sonneries de GSM. A vrai dire, le marché régresse moins en Belgique qu’en France, pays européen où Internet est le moins cher et où l’on compte le plus de téléchargements illégaux. »

En attendant, d’un côté comme de l’autre de la frontière, les gamins ne demandent plus désormais de CD pour les fêtes. Même plus un graveur. Ils veulent un iPod ou un lecteur MP3. Pour les ados, ceux-ci sont devenus comme les appareils photos pour les Japonais. Un Japonais sans appareil photo n’est pas un Japonais.  » Le CD est devenu nettement moins prisé que par le passé comme cadeau de fin d’année tandis que le jeu vidéo a explosé. »

Une niche pour spécialistes

Difficile évidemment pour les disquaires de faire le poids avec la gratuité et une offre presque illimitée.  » Nous proposons 30 000 références, reprend Dédé. Ce qui représente un investissement massif mais seulement un demi-pourcent de ce qui est disponible sur le Net. Plus encore que nous, la médiathèque déguste. Entre pomper un album gratuitement sur le Web et payer un euro, devoir aller chercher le disque et le ramener, les gens ont vite choisi. »

Les fans achètent aussi des disques dans les salles de concerts où les artistes vendent directement leur musique à prix démocratique.  » Dans le temps, les groupes vendaient des t-shirts et des bricoles. Aujourd’hui, ils écoulent leurs CD à des prix bradés. Des CD qu’ils achètent directement pour 2 ou 3 euros à la firme de disques. Je comprends. Mais pour nous, il s’agit d’une concurrence déloyale. » S’approche-t-on de la mort du CD? Stéphane Mangin n’y croit pas.  » Nous n’allons pas nous désengager. La musique est dans l’ADN de la Fnac. Nous avons d’ailleurs investi 200 000 euros cet été dans des bornes d’écoute tactiles. »

La part de marché des disquaires indépendants est même sans doute amenée à croître dans les prochaines années. Pour la simple et bonne raison que seuls les passionnés risquent de continuer à acheter des disques.  » Le CD n’est pas mort, achève-t-on du côté du Caroline. On n’en a d’ailleurs jamais sorti autant que maintenant. Mais il va devenir une niche pour spécialistes. »

Texte Julien Broquet

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