AVEC UNE VIE MEILLEURE, CÉDRIC KAHN CONJUGUE ADMIRABLEMENT L’INTIME ET LE SOCIAL. L’ÉMOTION N’Y DOIT RIEN AU PATHOS, ET LE RÉALISME Y A DES AIRS D’ÉPOPÉE.

Les mésaventures de Yann et Nadia, s’autorisant à rêver, malgré la crise, l’endettement, la dureté économiques, deviennent une épopée intime devant la caméra de Cédric Kahn. Le réalisateur d’ Une vie meilleure ( lire la critique dans Focus du 13/01) signe son meilleur film, offre son plus grand rôle à un formidable Guillaume Canet, et fait rimer comme rarement récit amoureux et réalisme social.

Ce réalisme très particulier qui est le vôtre est-il le fruit d’une façon de regarder le monde, ou d’une manière de faire du cinéma?

On commence par regarder le monde d’une certaine façon, selon notre éducation, et notre expérience de vie. Et après, on cherche le moyen de l’exprimer. Et ça peut prendre beaucoup de temps. Une vie meilleure est peut-être le film où j’ai trouvé le meilleur équilibre entre la façon dont j’ai envie de parler des choses et la façon dont elles sont perçues par le spectateur. J’ai toujours mis beaucoup de matière émotionnelle dans mes films. Je les fais largement plus avec mon c£ur et mes tripes qu’avec ma tête. Pourtant, ils ont été parfois perçus comme des objets un peu froids. Cette fois, la matière humaine passe mieux. Je n’ai pas d’explication à cela. A part peut-être la maturité, et une certaine maîtrise de l’instrument.

Votre film restera probablement comme un témoignage sur une époque, notre époque…

C’était une volonté. J’étais arrivé au bout de quelque chose, à force de parler des impulsions, du désir, des conflits intérieurs, de travailler dans un périmètre étroit. J’ai voulu plus inscrire mon cinéma dans la société, une société devenue très violente. La dureté du système s’est accrue, ces dernières années. Mais il n’était pas question d’en rester au constat. Il fallait que les personnages soient plus forts que l’histoire. L’épreuve subie par les personnages m’importe beaucoup moins que ce qu’ils en font, comment ils se transforment, comment ils en tirent quelque chose.

Sans leur refuser une lumière tout au bout du tunnel?

Jamais je n’aurais pu envisager une fin noire, malheureuse. Je ne suis pas dans la compassion, mais dans l’empathie. Je suis au niveau de mes personnages. Je n’essaie pas d’en faire les objets d’une démonstration. Je vis avec eux, je traverse ce qu’ils traversent, j’espère grandir à travers eux, et que le spectateur aussi grandisse à travers cette expérience.

Un film optimiste, donc?

Oui, mais pas d’un optimisme béat, hollywoodien. Pour moi, l’issue est dans la résistance, la croyance en soi, et surtout dans le lien. Les personnages sont seuls, au début, et à la fin ils sont unis.

Il leur faut partir, aussi…

Ce sont des exilés. Elle l’est dès le départ, et lui voudrait l’intégrer dans le rêve occidental, dans l’ancrage par la propriété (le restaurant qu’il veut ouvrir). Mais il lui faudra au contraire la rejoindre dans l’exil, dans une vie nomade. Le restaurant, c’est le trompe-l’£il du film… Le rêve familial triomphe du rêve d’entreprise…

Guillaume Canet est extraordinaire!

Il a eu le courage de se délocaliser dans un cinéma auquel il n’est pas identifié. Il a pris le risque de s’aventurer dans un univers où on ne l’attend pas. Il a joué le jeu à fond, y compris dans le fait de travailler avec des non-comédiens, et surtout avec un enfant, dans des scènes presque totalement improvisées. Il explore des pistes, il expose des facettes nouvelles pour lui. Il montre des choses plus violentes, rugueuses. Je sentais qu’il était prêt pour ça. Guillaume, il est à la bascule, il a 37 ans, il est en train de devenir un homme. Et comme le film raconte ça, justement, il était au bon moment.

Le choix de Leïla Bekhti?

Elle est formidable dans un rôle plus ingrat, car elle a beaucoup moins de scènes et chacune de ces scènes est très forte, chacune est une scène clé. Il lui fallait aussi surmonter le handicap de l’âge, car elle est un peu jeune pour le personnage. Elle a su aller chercher en elle-même une maturité, une gravité, qu’elle n’avait pas encore montrées dans d’autres films. Et elle emmène son personnage bien plus haut que le scénario le faisait imaginer…

La mémoire de certains films aimés a-t-elle nourri Une vie meilleure?

Celle d’un film, omniprésent à mon esprit tout au long: Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica.

Un film devant lequel on ne pleure pas parce qu’il est triste…

… mais parce que c’est la vie. Tout simplement. l

RENCONTRE LOUIS DANVERS, À PARIS

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