SURFANT SUR L’OBSESSION D’UN JEUNE HOMME RÊVANT DE RALLIER L’EUROPE DEPUIS LE MAROC AU MOYEN DE SA PLANCHE À VOILE, JAN-WILLEM VAN EWIJK SIGNE UN CURIEUX FILM SUR L’ABSENCE.

Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre un cinéaste ayant fait ses classes dans… le design aéronautique. Et pourtant: « Enfant, j’ai vu Star Wars, et les vaisseaux spatiaux ont produit une impression indélébile sur moi. Quand j’ai appris qu’on pouvait faire des études afin d’en concevoir le design, j’avais trouvé ma vocation. J’ai ensuite travaillé pour Airbus et quelques compagnies aux Etats-Unis, mais alors que je m’attendais à un boulot créatif, je me suis retrouvé à passer ma vie derrière un ordinateur… » Le dessin de fuselages menant à tout à condition d’en sortir, et le choc Star Wars initial lui ayant par ailleurs inoculé le virus du cinéma, Jan-Willem van Ewijk décide, après s’être égaré un temps dans le monde des affaires, d’écrire un scénario et de passer derrière la caméra.

Le résultat, ce sera Nu. , un film réalisé avec des amis pour un budget riquiqui de 20 000 dollars: « On s’est jetés à l’eau, on a fait beaucoup d’erreurs, mais c’est comme cela que j’ai appris. » Huit ans plus tard, Atlantic. constitue le deuxième volet de ce que le réalisateur hollandais envisage désormais comme une trilogie sur la perte, et que devrait refermer Sleep. , tourné aux Etats-Unis. Le point ponctuant chaque titre n’aurait, en l’espèce, rien d’une coquetterie, étant là pour induire la notion de finitude, commune aux trois films. L’expression de son regard sur le monde? « Je ne suis pas pessimiste, objecte-t-il, dans un français qu’irisent quelques emprunts à l’anglais. Naturellement, si l’on regarde le monde, il y a beaucoup à faire. Mais cela débouche toujours sur quelque chose de nouveau. L’idée de perte fait écho, pour l’essentiel, à quelque chose de personnel: j’ai perdu ma soeur quand j’étais enfant, et je viens de perdre ma mère, tout comme le personnage central de Atlantic. a perdu la sienne. Il y a là un côté autobiographique. »

Des images vides

L’inspiration pour ce film, van Ewijk raconte l’avoir eue au fil de ses séjours à Moulay, un village marocain bien connu des planchistes européens, les vagues y sculptant un spot de choix. Et de tisser la trame d’Atlantic. autour des relations se nouant entre touristes et jeunes du cru, l’un d’eux, Fettah, décidant de prendre la mer sur sa planche à voile, des rêves d’ailleurs sinon d’Europe plein la tête. « Les jeunes du village sont fort pauvres, et la planche à voile leur apparaît comme un synonyme de liberté. Ils apprennent sur le matériel laissé par les touristes, qu’ils réparent. Mais alors que pendant la saison, tout ce petit monde forme une communauté de surf, en hiver, il n’y a plus rien. C’est un peu étrange, parce qu’on assiste là à une sorte de mini-colonisation: l’Europe vient à eux pour mieux repartir, et si leur existence est imprégnée de culture occidentale, cette dernière leur reste aussi inaccessible. Il m’a semblé intéressant de montrer combien la planche à voile constituait pour eux une libération porteuse de rêves, tout en les piégeant. »

Pour mettre son impression d’ensemble en forme, le réalisateur a reçu le concours de Abdelhadi Samih, coscénariste originaire du village où le film a été tourné. « Quand je lui ai expliqué de quoi il retournait, il m’a dit y voir une histoire sur l’absence. Ce mot a revêtu une importance cruciale, parce que l’absence s’est retrouvée dans tout, et notamment dans le côté visuel du film: j’ai demandé au chef-opérateur de la traduire à l’écran, en créant des images vides. » Parfois maladroit voire bancal dans son ancrage « réel » –« je me pose moi-même encore beaucoup de questions sur le film », concède Jan-Willem van Ewijk, dans un mélange de lucidité et de modestie-, Atlantic. se révèle beaucoup plus convaincant dans son appel d’ailleurs, l’odyssée existentielle de son personnage central trouvant une expression marine saisissante. « Je suis planchiste, et j’aime l’océan. Je pensais donc que ce serait facile, et je n’ai pas compris quand, dans le milieu du cinéma, on me parlait d’un immense défi. J’étais un peu naïf, mais je pense que la naïveté peut être une bonne chose. Le premier jour de tournage en mer s’est avéré un cauchemar, tout le monde avait le mal de mer (…). Et le lendemain, il fallait s’y remettre. Chaque matin, j’ai improvisé une session de motivation, où je devais convaincre l’équipe d’y retourner. L’idée de défi s’est en définitive imposée, et chacun y a mis du sien pour que ça marche. On y est arrivés en trois semaines, et au prix de la perte d’une dizaine de kilos. » Sans parler des aléas divers et frayeurs multiples –« on écrit les scènes, mais l’océan dispose… ». Le résultat est à la hauteur des sacrifices, le ballet aquatique de Fettah, le long des côtes marocaines et dans l’immensité d’un absolu aux contours de néant, touchant parfois à la grâce pure. Ce qui, en tout état de cause, valait bien un film…

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers, À Marrakech

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