Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

LE DOUBLE SUICIDE DE KLEIST ET DE SON ULTIME AMOUREUSE INSPIRE UN FILM AUSSI SURPRENANT QUE BEAU.

Amour fou

DE JESSICA HAUSNER. AVEC CHRISTIAN FRIEDEL, BIRTE SCHNOÏNK, STEPHAN GROSSMAN. 1 H 36. SORTIE: 18/03.

8

« Voulez-vous mourir avec moi? » Henriette Vogel s’attendait peut-être à quelque avance de la part du poète Heinrich von Kleist, dont les regards insistants ne lui avaient pas échappé. Mais que sa déclaration d’amour prenne d’emblée la forme d’une demande de double suicide choque la jeune épouse et mère de famille. Certes Henriette est sensible à l’intérêt de l’écrivain célèbre. Mais s’engager à mourir avec lui? Sa vie conjugale avec un brave bourgeois l’ennuie et son coeur aspire à quelque élan romantique. La supplique de Kleist vient néanmoins trop vite, trop tôt…

On sait que l’auteur de Michael Kohlhaas, de La Marquise d’O et du Prince de Hombourg réalisera finalement son voeu le 21 novembre 1811, sur la rive du lac de Wansee près de Berlin. Et qu’on retrouvera, à côté de son corps, celui d’Henriette. Le film de Jessica Hausner reconstitue avec soin les circonstances de ce double suicide. Il offre au poète l’occasion d’exposer les raisons de son désespoir, de son désir de mort chevillé à celui d’un amour sublimé. Il trace aussi le portrait de celle qui, dans des circonstances que nous ne dévoilerons pas ici, finit par embrasser l’ultime projet de l’artiste.

Ironie

Amour fou évoque de singulière et remarquable façon l’épilogue tragique de la trajectoire de Kleist, écrivain à l’immense talent (il brilla dans le roman, le théâtre, les essais et la poésie) et à la sensibilité extrême. S’attachant au point de vue de celle qui s’unit à lui dans la mort, Jessica Hausner s’emploie à démythifier totalement l’étrange et saisissant sujet d’un film qu’elle veut scrupuleusement réaliste et profondément inscrit dans le contexte historique de l’époque abordée. L’influence française, post-révolutionnaire et napoléonienne, se fait dans les têtes avec ces idées de justice sociale et de liberté heurtant le puissant conservatisme prussien, mais aussi à fleur de peau avec cette mode Directoire venue en droite ligne de Paris et changeant la silhouette des femmes.

Chaque plan d’Amour fou prend les allures d’un tableau, aux couleurs volontiers pastel mais au trait déterminé, rugueux, accordé à ce quotidien que la réalisatrice autrichienne privilégie tout comme le faisait Werner Herzog dans son admirable Enigme de Kaspar Hauser, auquel on pense parfois. Jessica Hausner manie la distance et l’ironie avec art, et le style avec maîtrise. Loin des clichés romantiques, c’est l’humain dans sa vérité souvent ingrate qu’elle nous donne à voir. Avec de surprenantes résonances contemporaines…

LOUIS DANVERS

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