A 39 ans, Ice Cube, l’un des pères du gangsta rap, renoue avec son passé engagé et enragé. Sur son nouvel album, Raw Footage, il dénonce le corporatisme et incendie le politique.

Il a fondé NWA (Niggaz with Attitude) avec Dr Dre. Marqué les grandes heures du gangsta rap. Il a enregis-tré une vingtaine de disques, souvent engagés. Et joué dans autant de films. Pour la plupart des navets. Ice Cube, qui pourrait incarner Barracuda dans la version longue de L’Agence tous risques, n’en est pas à un paradoxe près. Nous l’avons rencontré pour en parler.

Focus : où situeriez-vous Raw Footage dans votre discographie?

Ice Cube: c’est l’album que je voulais enregistrer depuis Death Certificate. A partir de 1993, le hip-hop politisé a été mis de côté par les médias grand public et même certains spécialisés au bénéfice de ce que j’appelle le rap évasion. Fume de la weed, va en soirée, fais la fête… Oublie tous tes problèmes. C’est le message qu’on a fait passer aux gamins ces 15 dernières années. Maintenant, les gens veulent qu’on leur parle de sujets sociaux. Ils se demandent où est passé le rap politisé. Mon disque renoue avec le passé. Il se destine à votre esprit et votre âme, pas à vos fesses et aux dancefloors.

Il y a vingt ans, vous chantiez Fuck tha Police. Vous le pensez toujours aujourd’hui?

Oui. Evidemment. Mais chaque jour, chaque cas, chaque intervention est sujet à interprétation. Ma situation s’est améliorée. Pas celle des gens moins fortunés que j’aime et qui me sont proches. En attendant, depuis l’enregistrement de ce morceau, le comportement des flics est souvent surveillé, remis en cause. Scrupuleusement examiné comme celui du suspect. Cette nouvelle donne accorde aux hommes de loi un peu plus de crédibilité. Je pense que c’est le résultat d’une chanson comme la nôtre et des événements de South Central ( Ndlr: zone de violence urbaine et de crimes de rue de Los Angeles). Bref, ma vision n’a pas beaucoup changé mais je suis devenu plus mature. Je comprends mieux les tenants et les aboutissants.

A l’époque, vous démolissiez aussi Hollywood. Mais désormais, vous jouez dans des films familiaux de seconde zone.

Quand je chantais Burn Hollywood Burn, il n’y avait personne dans l’industrie, mis à part Spike Lee, pour raconter notre vie, notre histoire. Il y a deux manières de changer Hollywood. Soit, tu brûles tout. Soit, tu essayes de modifier le système de l’intérieur. De proposer autre chose que ce que l’usine à rêves a tendance à fabriquer. Je veux être productif, constructif. Je veux modifier la culture, inspirer les jeunes. J’ai plus de chance de changer le cours des choses de cette façon qu’avec un bidon d’essence et une boîte d’allumettes.

Vous vous exprimez tout de même plus facilement avec le rap?

D’où je viens, les spectateurs vont au cinéma pour échapper à la réalité. Je veux le leur permettre. Tu vas voir mes films et tu ne penses plus au quotidien. J’utilise Hollywood comme un outil de divertissement. Je ne peux pas encore m’exprimer réellement à travers le cinéma. Je joue dans des comédies familiales. C’est un travail d’équipe et je ne représente qu’un maillon d’une immense chaîne. Par contre, avec la musique et l’aide d’un producteur, je peux vraiment dire ce que j’ai sur le c£ur. Dans les films, je ne suis qu’un acteur. Je n’ai pas la liberté de partager mes pensées. De dire ce qui, à mes yeux, doit être mis en débat sur la place publique.

Comment vous sentez-vous quand le hip-hop est blâmé pour les maladies de nos sociétés modernes?

Je vois ce que je fais, le hip-hop, ma voix, comme un miroir de la société. Et tu ne peux pas blâmer un miroir. Tu ne peux que te blâmer toi-même. Je parle pour ceux dont on n’a pas l’habitude d’entendre le point de vue. Ceux qu’on veut enfermer. Ceux qu’on considère comme des criminels. Mais les criminels ne sont pas des aliens. Ce sont juste des citoyens qui enfreignent les lois. Des êtres humains qui ont un avis, comme vous et moi. Et parfois des explications à leur comportement. Je veux être le porte-parole de ces gens qui sont tombés dans l’illégalité à cause de leur statut social. La violence est horrible. Mais il est difficile de dire aux gamins de ne pas entrer dans un gang quand tu vois les attaques américaines en Irak, le conflit israélo-palestinien. Le comportement du gouvernement, des dirigeants, finit par descendre dans la rue. Quand tu vois comment agissent des mecs comme Bush, tu ne peux plus arrêter les gosses…

L’élection de Barack Obama changerait-elle quelque chose à la situation des Afro-Américains?

Elle pourrait modifier un état d’esprit, une attitude. Et donc changer l’avenir, le regard des nouvelles générations.

Qu’est-ce qui vous fait avancer?

L’amour du hip-hop. Quand je grandissais en écoutant de la musique, je n’imaginais pas que je deviendrais un rappeur. Et encore moins que j’accèderais à la célébrité. J’étais juste un fan. J’ai commencé pour le fun et à un moment, j’ai réalisé que je pourrais en tirer du fric. Le hip-hop est un formidable mode d’expression. Quand tu ne sais pas chanter, le rap est le meilleur moyen de sortir du trou. Je suis fier que ma génération ait contribué à créer et solidifier cette industrie.

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Interview Julien Broquet

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