Gaston, l’antihéros fétiche de Franquin, a déboulé sur France 3 et AB3. Entièrement créée à partir des scénarios et des dessins du maître, cette série animée repose surtout une question vieille comme une pile de courrier en retard: qu’est-ce qu’une adaptation fidèle, voire réussie, au fond?

« C’est tout le problème du passage d’un médium à un autre qui est en jeu ici. Et qui est symptomatique de toute la question de l’adaptation des séries classiques de bande dessinée en animation. » Erwin Dejasse travaille et étudie la bande dessinée depuis des années, dispense un cours d’Histoire de la BD à l’Université de Liège et s’est fendu en 2005, en compagnie de Philippe Capart, d’un ouvrage précieux(1) consacré aux jeunes années de Morris, Franquin et Peyo, futurs auteurs vedettes qui se rencontraient alors tous trois à la CBA, petit studio bruxellois de production de dessins animés.  » Je crois que leur attirance était moins liée à un médium précis qu’à toute une culture populaire américaine qui intégrait autant le dessin animé que la bande dessinée voire le cinéma en général ou même le dessin de presse. De là, avec ce background-là, ils ont réinventé par la suite une manière de penser la bande dessinée. »

Franquin et le dessin animé: une grande histoire d’amour, donc? Pas si simple…  » Son rapport à tout ça était à la fois très intéressant et très ambigu, voire paradoxal. C’est quelqu’un qui a grandi avec le dessin animé, qui a fantasmé devant les films de Disney, des frères Fleischer, et qui était donc en quelque sorte dans son élément quand il s’agissait d’animation. Mais, en même temps, toutes les tentatives d’adaptation de ses £uvres l’ont personnellement affecté, car il se sentait dépossédé de ses créations. Il disait d’ailleurs que ça ne l’intéressait pas de travailler pour cette grosse industrie, avalant des scénarios écrits au kilomètre, mais dès qu’il était un peu impliqué il ne pouvait pas s’empêcher d’y mettre sa patte. Dans le cas du Marsupilami, par exemple, il y a eu plusieurs tentatives pour lesquelles il avait fait une Bible… qui était d’une telle sophistication qu’elle en devenait quasi inutilisable. Est-ce que s’il s’était retrouvé dans des conditions idéales il aurait pu faire quelque chose de bon en dessin animé? Je ne suis pas sûr parce qu’il avait une telle exigence, un tel souci du détail, que ça semble impossible avec un médium pareil, ou alors il aurait fait un film de 20 minutes sur toute sa vie…  » Et de rappeler qu’une première tentative d’adaptation de Gaston en dessin animé avait été amorcée du vivant de Franquin. Lequel avait trouvé ça tellement mauvais qu’il s’était purement et simplement opposé à ce que cela aille plus loin.

L’esprit plutôt que la lettre

Gaston, parlons-en justement. Avortée à l’époque, la tentative d’adaptation a aujourd’hui été menée à son terme. Et le gaffeur sachant gaffer de débouler sur nos petits écrans pour 78 épisodes de 7 minutes découpés en 5 sketchs. Bien sûr, Franquin, et son exigence maniaque, n’est plus là pour dire tout le mal qu’il pense de tout ça. Qu’on se rassure, nous assène-t-on, cette première véritable adaptation pour la télévision, signée par le studio français Normaal Animation, s’est faite dans le plus grand respect et la plus pure fidélité à sa création. En effet, la série a entièrement été conçue à partir des scénarios et des dessins du maître. Les planches originales ayant été numérisées avant d’être – timidement – animées. Fidèle donc, respectueux même, mais qu’est-ce que cela signifie finalement? Sans compter que le passage d’un médium à un autre exige nécessairement des ajustements et implique notamment des problèmes, irrésolus ici, de rythme.

 » On essaie généralement de rester le plus fidèle possible à l’original, analyse Erwin Dejasse. Pour ne pas froisser le vieux lecteur, qui n’est peut-être pas prêt à accepter une grande prise de liberté au niveau du traitement graphique. Mais j’ai le sentiment que c’est une fidélité qui est souvent factice. Je pense qu’on se fourvoie en voulant absolument qu’on retrouve la patte de l’auteur dans le dessin – c’est d’autant plus vrai dans le cas de Franquin, et cette surenchère de petits traits qui le caractérise. Prenez ces adaptations de Marcel Proust en bande dessinée. Où l’on reprend tels quels des blocs de texte original. C’est peut-être fidèle dans la mesure où l’on retrouve l’écriture de Proust mais le résultat en BD n’en est pas moins calamiteux. Par contre, vous avez, par exemple, cette adaptation du Château de Kafka par Olivier Deprez qui ne reprend pratiquement rien du texte de l’auteur mais qui, à mon sens, est beaucoup plus fidèle dans la mesure où on retrouve l’âme de l’£uvre de Kafka. Renouer avec l’esprit de la création originale, voilà qui me semble intéressant. A partir de là, je considère que l’adaptateur peut s’autoriser quasi ce qu’il veut. Et s’il faut passer par une esthétique tout à fait différente pour ce faire, eh bien pourquoi pas. »

L’esprit plutôt que la lettre, donc. Voilà qui pourra assurément faire crisser du dentier plus d’un puriste facilement échaudable. Une proposition qui ouvre pourtant un bel horizon de possibles et qu’il convient assurément de méditer en profondeur à une époque où les adaptations pleuvent tous azimuts… avec des fortunes artistiques pour le moins diverses.

Et Erwin Dejasse d’insister:  » J’ai ce sentiment que tout est adaptable à un moment donné. Mais il doit y avoir un véritable travail de recréation, il faut faire preuve d’inventivité et impérativement sortir de cette idée qui voudrait qu’on peut faire passer un personnage d’un médium à un autre comme de l’eau passe à travers un tuyau. » Sûr qu’à ce niveau-là, Gaston, la série, s’est montrée plus paresseuse encore que le personnage de Franquin. Un comble…

(1) Morris, Franquin, Peyo et le dessin animé, d’ Erwin Dejasse et Philippe

Capart, Éditions de l’An 2, 135 pages + DVD.

Gaston, à voir (ou pas) sur France 3 le dimanche à 8 h 50 et sur AB3 du lundi au vendredi à 18 h 25.

Texte Nicolas Clément

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