La vie et rien d’autre
Le Botanique présente une centaine d’images qui retracent la carrière du street photographe Joel Meyerowitz. Where I Find Myself dessine en pointillé le portrait d’un homme obsédé par la vie.
Il est des rencontres qui changent le cours d’une vie. Pour Joel Meyerowitz (1938), ce fut Robert Frank, le père de la photographie de rue. La scène en forme d’implosion se déroule en 1962. Alors directeur artistique dans une agence de publicité new-yorkaise, Meyerowitz fait connaissance avec l’auteur de The Americans,qu’il doit assister le temps d’un shooting. Observer Frank se mouvoir Leica à la main -une véritable chorégraphie- fait office de détonateur pour celui dont la carrière semblait toute tracée. C’est décidé: il veut lui aussi devenir photographe, être ce bystander, spectateur sans cesse eyes wide open pour ne rien rater des gifts offerts par le monde à ceux qui sont dignes de les voir. Pas question de perdre du temps: ses premières images, l’intéressé les livrera dans la foulée de cette révélation. Il débute seul, faisant confiance à son instinct. Après avoir fait une très brève incursion dans la couleur, Meyerowitz se tourne vers le noir et blanc. À l’époque, c’est le passeport nécessaire à la crédibilité pour qui veut évoluer dans le champ artistique. En 1970, le natif du Bronx reviendra définitivement sur ce choix artistique. Comme il l’explique en substance dans La Peau des rues, un film de Philippe Jamet sorti en 2016, se priver de la couleur, c’est estropier le monde, rompre avec l’émotion, la psychologie. Sa tâche à lui? « Rendre la couleur aussi puissante que le noir et blanc. » Pour y parvenir, il se définit progressivement un style, celui d’un homme qui se fond dans le décor, un photographe qui s’efface pour faire place à la vie tonitruante. Sa période street photographie, qu’il poursuit durant près de 20 ans, a des allures de poème visuel. Il guette l’incident, le petit événement qui échappe à tous sauf à lui. On pense aux cadavres exquis des surréalistes, ces télescopages guidés par le hasard qui en disent long sur les forces sociales qui traversent les individus. Cela donne des images inoubliables, comme celle de ce gosse qui, revolver en plastique à la main, se penche vers le berceau de ce que l’on devine être son petit frère tout en rejouant Caïn et Abel version Deuxième amendement de la Constitution des États-Unis. On pense également à cette femme dont les bras absents, cachés par un gilet, semblent traîner en arrière-plan dans la vitrine d’un magasin à la façon de prothèses consuméristes. Where I Find Myself donne à voir les multiples chemins empruntés par Meyerowitz, depuis les rues de New York jusque celles de Paris, en passant par les paysages de Cape Cod, les portraits et les natures mortes plus récentes. Entre 1962 et les années 2010, l’exposition ne se contente pas de restituer ce qu’a vu l’oeil du maître new-yorkais, elle livre également le portrait d’un homme chassé du paradis que constituait l’environnement urbain dans les années 60 et 70. « Les gens n’arrivaient pas à croire que c’était eux que je voulais photographier« , se rappelle avec nostalgie Meyerowitz dans le film de Jamet. Depuis, la montée en puissance des égoïsmes, murs tagués et selfies, a incité cet inlassable regardeur à tourner les yeux vers des horizons plus contemplatifs.
Where I Find Myself, Joel Meyerowitz, Botanique, 236 rue Royale, à 1210 Bruxelles, Jusqu’au 28/01. www.botanique.be
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