La vie et rien d’autre

New York, 1963 Les débuts Cette image du début de la carrière de Joel Meyerowitz est exemplaire de la dimension sociologique à l'oeuvre dans son travail. Le télescopage entre le visage de la caissière, cloîtrée dans sa cage de verre, et l'orifice censé permettre une communication plus aisée, raconte l'avènement de cet "homme unidimensionnel" décrit par Herbert Marcuse. Un devenir hygiaphone du corps humain au croisement du consumérisme et de la bureaucratie. © JOEL MEYEROWITZ, NEW YORK, 1963, COURTESY POLKA GALERIE

Le Botanique présente une centaine d’images qui retracent la carrière du street photographe Joel Meyerowitz. Where I Find Myself dessine en pointillé le portrait d’un homme obsédé par la vie.

Il est des rencontres qui changent le cours d’une vie. Pour Joel Meyerowitz (1938), ce fut Robert Frank, le père de la photographie de rue. La scène en forme d’implosion se déroule en 1962. Alors directeur artistique dans une agence de publicité new-yorkaise, Meyerowitz fait connaissance avec l’auteur de The Americans,qu’il doit assister le temps d’un shooting. Observer Frank se mouvoir Leica à la main -une véritable chorégraphie- fait office de détonateur pour celui dont la carrière semblait toute tracée. C’est décidé: il veut lui aussi devenir photographe, être ce bystander, spectateur sans cesse eyes wide open pour ne rien rater des gifts offerts par le monde à ceux qui sont dignes de les voir. Pas question de perdre du temps: ses premières images, l’intéressé les livrera dans la foulée de cette révélation. Il débute seul, faisant confiance à son instinct. Après avoir fait une très brève incursion dans la couleur, Meyerowitz se tourne vers le noir et blanc. À l’époque, c’est le passeport nécessaire à la crédibilité pour qui veut évoluer dans le champ artistique. En 1970, le natif du Bronx reviendra définitivement sur ce choix artistique. Comme il l’explique en substance dans La Peau des rues, un film de Philippe Jamet sorti en 2016, se priver de la couleur, c’est estropier le monde, rompre avec l’émotion, la psychologie. Sa tâche à lui? « Rendre la couleur aussi puissante que le noir et blanc. » Pour y parvenir, il se définit progressivement un style, celui d’un homme qui se fond dans le décor, un photographe qui s’efface pour faire place à la vie tonitruante. Sa période street photographie, qu’il poursuit durant près de 20 ans, a des allures de poème visuel. Il guette l’incident, le petit événement qui échappe à tous sauf à lui. On pense aux cadavres exquis des surréalistes, ces télescopages guidés par le hasard qui en disent long sur les forces sociales qui traversent les individus. Cela donne des images inoubliables, comme celle de ce gosse qui, revolver en plastique à la main, se penche vers le berceau de ce que l’on devine être son petit frère tout en rejouant Caïn et Abel version Deuxième amendement de la Constitution des États-Unis. On pense également à cette femme dont les bras absents, cachés par un gilet, semblent traîner en arrière-plan dans la vitrine d’un magasin à la façon de prothèses consuméristes. Where I Find Myself donne à voir les multiples chemins empruntés par Meyerowitz, depuis les rues de New York jusque celles de Paris, en passant par les paysages de Cape Cod, les portraits et les natures mortes plus récentes. Entre 1962 et les années 2010, l’exposition ne se contente pas de restituer ce qu’a vu l’oeil du maître new-yorkais, elle livre également le portrait d’un homme chassé du paradis que constituait l’environnement urbain dans les années 60 et 70. « Les gens n’arrivaient pas à croire que c’était eux que je voulais photographier« , se rappelle avec nostalgie Meyerowitz dans le film de Jamet. Depuis, la montée en puissance des égoïsmes, murs tagués et selfies, a incité cet inlassable regardeur à tourner les yeux vers des horizons plus contemplatifs.

New York, 1975             Couleurs et plans larges          Cette scène urbaine témoigne de deux évolutions majeures dans le travail du photographe. La première concerne le choix de la couleur, une option cruciale quant à la volonté de Meyerowitz de restituer tout ce que le monde a à offrir. La seconde, qui date également d'après 1970, réside dans son besoin d'élargir le cadre.
New York, 1975 Couleurs et plans larges Cette scène urbaine témoigne de deux évolutions majeures dans le travail du photographe. La première concerne le choix de la couleur, une option cruciale quant à la volonté de Meyerowitz de restituer tout ce que le monde a à offrir. La seconde, qui date également d’après 1970, réside dans son besoin d’élargir le cadre. « Je voulais inclure le maximum d’informations pour pouvoir dire: ceci est mon temps, mon époque », confiait l’intéressé au réalisateur Philippe Jamet.© JOEL MEYEROWITZ, NEW YORK, 1975 COURTESY POLKA GALERIE

Where I Find Myself, Joel Meyerowitz, Botanique, 236 rue Royale, à 1210 Bruxelles, Jusqu’au 28/01. www.botanique.be

Provincetown, Massachusetts, 1981             Le temps des portraits          Le photographe new-yorkais a longtemps passé ses étés à Cape Cod, c'est même là qu'il a eu l'intuition d'y immortaliser les paysages. Dans la foulée des paysages, Meyerowitz se passionne pour le portrait. Comme c'est le cas pour la nature, l'individu fait valoir ses teintes et reliefs. C'est tout particulièrement vrai des
Provincetown, Massachusetts, 1981 Le temps des portraits Le photographe new-yorkais a longtemps passé ses étés à Cape Cod, c’est même là qu’il a eu l’intuition d’y immortaliser les paysages. Dans la foulée des paysages, Meyerowitz se passionne pour le portrait. Comme c’est le cas pour la nature, l’individu fait valoir ses teintes et reliefs. C’est tout particulièrement vrai des « redheads », les roux, qu’il considère comme de véritables tableaux vivants. Un ouvrage éponyme, publié en 1990, raconte cette fascination.© JOEL MEYEROWITZ, SARAH, PROVINCETOWN, MASSACHUSETTS, 1981, COURTESY POLKA GALERIE
Paris, 1967             Révélation parisienne          En 1966 et 1967, Joel Meyerowitz s'offre un voyage en voiture à travers l'Europe. Paris compte parmi ses étapes. En pleine effervescence, la Ville Lumière agit sur lui comme un véritable révélateur. Plus qu'ailleurs, il peut être le flâneur, l'esprit libre regardant le monde qu'il a toujours rêvé d'être. Cette image témoigne certes d'un drame, mais pas forcément celui qu'on croit: le peu de poids du destin individuel face à la marche du monde.
Paris, 1967 Révélation parisienne En 1966 et 1967, Joel Meyerowitz s’offre un voyage en voiture à travers l’Europe. Paris compte parmi ses étapes. En pleine effervescence, la Ville Lumière agit sur lui comme un véritable révélateur. Plus qu’ailleurs, il peut être le flâneur, l’esprit libre regardant le monde qu’il a toujours rêvé d’être. Cette image témoigne certes d’un drame, mais pas forcément celui qu’on croit: le peu de poids du destin individuel face à la marche du monde.© JOEL MEYEROWITZ, PARIS, FRANCE, 1967, COURTESY POLKA GALERIE PARIS
Bay Sky Dawn, Hard Line, Provincetown, Massachusetts, 1984             Vers l'abstraction          À partir de 1974, Meyerowitz opère un revirement majeur dans sa pratique. Lui qui jusque-là n'avait abordé le monde qu'à travers la fenêtre de son petit Leica décide de changer de grammaire formelle. Pour ce faire, il s'équipe d'une chambre technique de 1938, une Deardorff 8x10, et dirige son objectif vers les paysages. L'âge d'or de la street photographie étant révolu à ses yeux, il explore d'autres possibles chromatiques, comme dans cette sublime baie du Massachusetts.
Bay Sky Dawn, Hard Line, Provincetown, Massachusetts, 1984 Vers l’abstraction À partir de 1974, Meyerowitz opère un revirement majeur dans sa pratique. Lui qui jusque-là n’avait abordé le monde qu’à travers la fenêtre de son petit Leica décide de changer de grammaire formelle. Pour ce faire, il s’équipe d’une chambre technique de 1938, une Deardorff 8×10, et dirige son objectif vers les paysages. L’âge d’or de la street photographie étant révolu à ses yeux, il explore d’autres possibles chromatiques, comme dans cette sublime baie du Massachusetts.© JOEL MEYEROWITZ, BAY SKY DAWN, HARD LINE, PROVINCETOWN, MASSACHUSETTS, 1984, COURTESY POLKA GALERIE

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