Mégalomane, hystérique, égocentrique, paranoïaque, insupportable: Axl Rose est aussi le seul survivant du Guns N’ Roses original qui a mis dix-sept ans pour sortir son Chinese Democracy.

Quatorze chansons, un coût déterminé par le New York Times à 13 millions de dollars, une sortie sans cesse différée, une liste de producteurs stars embauchés (Bob « Lou Reed » Ezrin, Andy « Nirvana » Wallace, Roy Thomas « Queen » Baker) ou non (Moby, Youth), une effusion d’articles, de rumeurs, de scandales, de crises et de mythomanie: Chinese Democracy sort ce 21 novembre. Malgré l’énorme buzz en cours, Guns N’Roses ne retrouvera sans doute pas son statut artistique des années 80/90, ce qui ne l’empêchera pas de remplir les stades. La marque de soda Dr Pepper a promis de donner une canette à chaque résident nord-américain si l’album en question sortait en 2008: elle devra s’exécuter. Et ce n’est pas forcément le pire soubresaut d’une saga commencée en juillet 1993, alors que Guns N’ Roses conclut une tournée triomphale de 28 mois et 192 shows poussée par les ventes colossales des deux CD jumeaux Use Your Illusion 1 et 2 sortis en septembre 1991. Les derniers albums de matériel original sortis par le groupe (1). Il y a donc dix-sept ans.

Hélicoptère et jupe de cuir

Guns N’ Roses est le produit type de la génération MTV qui prend Rose et Cie en pleine figure au carrefour des années 80/90, alors que l’industrie du disque manufacture à la pelle la pose vidéo. Guns N’ Roses s’incarne avec fracas dans une débauche d’images épiques: les prises de vue d’hélicoptère sur un toit nocturne éclairé comme la cathédrale de Lourdes dans Don’t Cry ou le solo de guitare de Slash collé à une église perdue au c£ur de November Rain… Dans cette orgie de clichés où les cheveux longs tatoués habitent les vastes mansions hollywoodiennes, Rose est un OVNI d’envergure. Suffisamment mâle pour poser en mauvais garçon génétique, mais avec une douceur de visage qui contredit toute diabolisation ultime. Un tonnerre de virilité exhibé dans des chansons qui, à l’occasion, flirtent même dangereusement avec l’homophobie et le racisme ( One In A Million sortie en 1988) mais des attitudes qui racontent le contraire. Jupe de cuir, cheveux très longs, bracelets, bandana et serre-tête, poses alanguies: Rose porte aussi un gêne de féminité qui nie son catalogue machiste. Assez plausible vu le scénario d’une enfance violente et bafouée.

Abusé sexuellement

William Bruce Rose est né le 6 février 1962 dans une famille troublée de l’Indiana: devenu star, Rose admettra lors de séances thérapeutiques révélatrices qu’il a été abusé sexuellement par son beau-père. Il pense d’ailleurs que celui-ci est son géniteur jusqu’à la découverte tardive de la vérité, à l’âge de dix-sept ans. Elevé dans un pentecôtisme bigot, Rose grandit au fil d’images diabolisées du désir, de la sexualité et de la femme. A la maison, il est régulièrement frappé: longtemps, il imaginera que la violence domestique est le sort de toute famille. L’ensemble dessine le cocktail explosif d’une Amérique fracturée où la célébrité est l’une des échappées classiques à l’ennui et à la brutalité. Rose n’a que vingt-cinq ans lorsque sort Appetite For Destruction, le premier album du groupe qui finira par se vendre à 27 millions d’exemplaires, fondant la fortune du chanteur et des autres. S’il se défonce également – coke et alcool -, Rose contrôle mieux ses excès de substances que sa parano récurrente. Le succès planétaire déplace son terrain d’action des conflits individuels – sources de plusieurs arrestations – à la provocation d’émeutes grand style. Le 2 juillet 1991 à St Louis, il plonge dans la foule pour s’emparer de la caméra vidéo brandie par un fan (…), remonte en scène pour la quitter aussitôt, suivi du groupe. Le geste inconsidéré et l’arrêt brusque du concert provoquent une impressionnante éruption de violence, visible sur YouTube(2). Miraculeusement, les bacchanales se terminent sans un mort. A Mont-réal à l’été 1992, selon un scénario légèrement différent, Rose abandonne la scène pour « un mal de gorge » et provoque une nouvelle fois une fureur publique à grande échelle qui poursuit son carnage en rue. Fin de cette même année, pour sa conduite irresponsable de St. Louis, Rose sera condamné à deux années de prison avec sursis et 50 000 dollars d’amende.

Tous les membres originaux du groupe quittent Guns N’ Roses entre 1994 et 1996, laissant Rose -propriétaire officiel du nom – mener une vie de nabab reclus à Malibu pendant la seconde moitié des années 90. En roue libre absolue, Rose se pâme dans les caprices et multiplie les faux rendez-vous d’enregistrement. L’écriture commencée il y a quinze ans maintenant (…) et la saga des musiciens et des studios fréquentés pendant cette période, feraient sans doute une thèse idéale sur le « contrôle et l’exploration de soi-même ». Comme si le style de vie babylonien du Guns des nineties – déjà une parodie de la débauche rock des années 60/70 – avait encore un sens.

Caprice de dieu

Avant de pouvoir écouter le disque officiel, on trouve les quatorze chansons sur Internet. La plage titulaire de Chinese Democracy est un boulet mordant et agressif, bafoué de guitares sur le point d’accoucher: sur certains titres ( Shackler’s Revenge), on détecte, de fait, des emprunts aux sonorités crispées de Nine Inch Nails. Et les amateurs des vocaux hystériques et falsettos maniaques d’Axl seront rassasiés par Better ou Silkworms. L’album délivre également son lot de ballades over-mélos: Madagascar, Street Of Dreams, mais sans la pompe mélodique qui rendait, par exemple, Don’t Cry, « irrésistible ». Il est probable que tout cela mette les légions de fans hardcore en pâmoison, mais pour le reste du monde, Chinese Democracy sonnera plus probablement comme un objet lourd, ridiculement cher à fabriquer et néanmoins démodé. L’album d’un gosse capricieux qui a refusé de grandir.

Chinese Democracy, le 21/11, Universal.

((1) Quatorze millions de copies vendues rien qu’aux Etats-Unis. En novembre 1993, G N’R sort The Spaghetti Incident?, un album de reprises, dont un titre du serial-killer Charles Manson.

(2) Mots-clés YOUTUBE: Guns N’Roses July 2nd, 1991 St. Louis MO Riot Video. LA PLATE-FORME est un vrai catalogue des excès en tous genres d’Axl Rose.

Texte Philippe Cornet

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