Avec Birdwatchers, Marco Bechis signe une stimulante fiction à la rencontre des Indiens Guarani-Kaiowa du Brésil, spoliés de leurs terres et menacés d’acculturation. Une ouvre puissante et engagée…

Présenté lors de la dernière Mostra de Venise, Birdwatchers en aura constitué l’une des toutes bonnes surprises. S’attachant à la condition des Indiens Guarani-Kaiowa, au Brésil, le film du réalisateur chilien Marco Bechis prend les accents d’une fiction militante convaincante, aux contours narratifs et esthétiques séduisants. Une franche réussite, posant moult questions, évoquées dans la langue de Voltaire – le fruit d’un séjour de deux ans à Paris! – avec un cinéaste ayant l’engagement chevillé au corps.

Comment avez-vous été sensibilisé à la cause des Indiens Guarani-Kaiowa?

Je suis né au Chili, j’ai vécu en Argentine et au Brésil, et la question de l’autre, c’est l’Indien. Le manque de curiosité a toujours engendré la violence entre groupes ethniques différents – sans curiosité, on est dans le règne de la peur, et avec la peur, on est foutus. J’ai donc été porté par ma curiosité envers ces gens, les occupants originels de ce continent. J’ai voulu approfondir la question, et me suis demandé ce qu’il restait du génocide perpétré au XVIe siècle à l’encontre des Indiens. J’ai rencontré beaucoup d’Indiens, entre 2002 et 2004, moment où j’ai fait la connaissance des Guarani-Kaiowa, dont j’ai réalisé que l’histoire synthétisait celle de tous ces temps de violences. Jusqu’à aujourd’hui où, après avoir vécu dans des réserves pendant des années, ils veulent retourner à leur terre, mais la forêt y a été remplacée par des champs de canne à sucre et de soja transgénique.

Le film s’appuie sur des cas vécus?

Des tentatives de reprise des terres, on en compte par centaines. Nadio, je l’ai connu sur sa terre, qu’il occupait depuis trois mois avec sa communauté – maintenant, cela fait quatre ans. De l’autre côté de la rivière, il y avait une cabane en bois assez sommaire, où on avait installé un gardien pour les contrôler, et qui venait boire le maté avec lui. C’est l’histoire du film. Je me suis basé sur la réalité, mais je tenais à tourner une fiction, plus à même de passer les barrières de la communication. J’ai donc construit une fiction dont les Indiens seraient les protagonistes centraux, avec des blancs comme personnages secondaires.

Comment s’est déroulé le casting?

Ce peuple a une capacité innée de représentation, découlant de leur tradition orale. Dans les réunions qu’ils ont entre eux, ou avec les autorités, ils mettent en place un dispositif théâtral. Par exemple, si une autorité vient négocier, le dispositif est à la fois fort organisé et automatique: quelqu’un vient au premier plan et invective le fonctionnaire avec la litanie des méfaits qui ont été perpétrés, avant de passer à l’arrière-plan pour que les autres commencent la négociation. J’ai seulement dû leur apprendre ce qu’était la caméra, et un peu de technique de jeu. Comment voyez-vous évoluer la situation?

Il y a une solution politique toute simple. Le gouvernement a envoyé, illégalement, des colons pratiquer la déforestation il y a une cinquantaine d’années. A l’époque, on parlait de déforestation à 80 %, le solde des terres devant rester à l’état de forêts. Dans les faits, seuls 2 % des terres indigènes sont restées en l’état. La solution politique est donc simple: signifier aux propriétaires qu’ils n’ont pas respecté la loi, et reprendre ces 20 % de terres pour les restituer aux Indiens. Les Indiens n’en réclament pas plus.

Est-ce réaliste?

Bien sûr, il ne tient qu’à l’Etat de faire respecter la loi. Même si les puissances économiques s’insurgent: c’est l’épicentre de la production de soja transgénique de Monsanto. Chaque mètre carré représente de l’argent: c’est une bataille anticapitaliste.

Quel est le pouvoir d’un film dans ce contexte?

Mon film se termine sur une adresse Internet afin de récolter des fonds. C’est inhabituel, mais il faut mettre en place une structure pour les aider à continuer la bataille légale pour la récupération de leurs terres. Je ne pense pas que Birdwatchers pourra changer l’histoire des Guarani-Kaiowa, mais ils ont un instrument de plus pour combattre. C’était la raison principale pour le tourner. Et j’ai fait une expérience cinématographique nouvelle: mes films sont des prototypes, et non des produits de série.

Entretien Jean-François Pluijgers, à Venise.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content