SAVERIO COSTANZO, L’AUTEUR DE IN MEMORIA DI ME, SIGNE UNE ADAPTATION INSPIRÉE DE LA SOLITUDINE DEI NUMERI PRIMI, LE ROMAN DE PAOLO GIORDANO.

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

Entretien Jean-François Pluijgers, à Venise

Deux films, éminemment personnels, ont fait de Saverio Costanzo l’une des voix les plus singulières du cinéma transalpin contemporain: avec Private, Léopard d’or à Locarno en 2004, le réalisateur romain s’attelait à l’histoire d’une famille palestinienne refusant de quitter sa maison réquisitionnée par l’armée israélienne, et entamant, ce faisant, une délicate cohabitation. Réalisé 3 ans plus tard, In Memoria di Me accompagnait, pour sa part, un novice dont l’engagement spirituel allait être mis à l’épreuve de la vie dans un Monastère. Après ces 2 £uvres marquées du sceau de l’austérité, La solitudine dei numeri primi, adaptation du best-seller de Paolo Giordano inscrite au confluent de 2 solitudes, marque une évolution sensible dans son parcours. Il nous en parlait lors de la dernière Mostra de Venise, où le film devait recevoir un accueil contrasté…

Le travail d’adaptation du roman de Paolo Giordano s’est-il avéré difficile?

Très difficile. Je ne vais normalement jamais voir un film tiré d’un livre que j’ai apprécié. Si je connais déjà l’histoire, pourquoi donc irais-je voir un film? Je vais au cinéma pour être désorienté, et non pour être conforté dans mes connaissances. Mais la saveur, et le rythme diffèrent toutefois, et il m’arrive d’aller voir une adaptation, presque par pur voyeurisme, dans un réflexe un peu pervers, pour évaluer ce que ça donne. Ce que nous avons essayé de faire, c’est de garder l’histoire telle quelle, mais d’en modifier la structure et la narration: le livre va en ligne droite, et le film croise différents éléments, de sorte que le public ne peut pas se raccrocher à un enchaînement chronologique des événements. Je voulais le désorienter.

Dans quelle mesure Paolo Giordano a-t-il été impliqué dans le processus d’adaptation?

Paolo est quelqu’un de fort ouvert. Il est fort attaché à cette histoire, mais il m’a laissé l’entière liberté de faire ce que bon me semblait. J’ai voulu qu’il soit impliqué dans le scénario, tout en développant des éléments qui ne se trouvaient pas dans le roman, et nous avons bien collaboré. Ce fut une belle aventure. Il vit à Turin, et moi à Rome, mais on se retrouvait parfois pour une semaine, à discuter, en plus de s’échanger des courriels et de se téléphoner. Et on a refait l’histoire. Au début, nous nous bornions à suivre le livre, et puis nous nous en sommes écartés, et avons aussi laissé parler nos émotions, sans suivre une méthode vraiment rationnelle. C’est là que le scénario s’est mis à vraiment fonctionner.

Comment avez-vous travaillé avec vos acteurs?

Ils ont commencé à travailler sur le corps: la compréhension des personnages passait par le corps, avant de les envisager de façon théorique. Nous avons donc développé Alice et Mattia à partir de leur corps. L’histoire part de 1984, et parle d’une génération qui avait choisi de n’avoir ni idéologie, ni révolution en laquelle croire, à l’inverse de celle des années 70, par exemple, où l’idéologie pouvait nourrir quelqu’un. Ce n’est plus vrai aujourd’hui, où tout le monde semble endormi. En faisant de la provocation, on pourrait dire que le dernier terrain politique est devenu le corps: on ne se tourne plus vers l’extérieur, mais bien vers l’intérieur, et on fait la révolution en soi. Le livre de Paolo Giordano est vraiment contemporain: il y a quelque chose d’éminemment politique dans sa façon d’envisager les corps. Elle est anorexique par opposition à sa boulimie: il essaye de se détruire en mangeant trop, et elle en ne mangeant pas assez. Un peu comme si leur âme souffrait de claustrophobie, enfermée dans un corps-prison.

Vos 3 films épousent des genres totalement différents. Pourquoi une telle versatilité?

Je m’ennuie assez facilement de moi, je dois changer tout le temps pour découvrir quelque chose, aller au-delà de mes limites. Je veux toujours aborder quelque chose de nouveau. Peut-être suis-je toujours à la recherche de mon image, voire de moi-même. Le plus grand risque serait de découvrir, au bout de 10 films, que je suis un homme invisible, et que je n’existe pas. C’est une crainte, même s’il y a à mes yeux une idée, même ténue, qui relie ces différents films. Ils sont tous proches à mes yeux.

Quelle est cette idée?

Le combat pour la liberté. Qu’il s’agisse de la Palestine et d’Israël, de notre vie religieuse, ou d’une tentative d’échapper à un traumatisme d’enfance et à la famille, ce combat est toujours présent. Pour moi, c’est là la ligne commune à mes films, qui parlent aussi tous les 3 de la famille: celle qui est en prison, celle que l’on recherche dans un monastère, et celle des nombres premiers. Je n’ai jamais pensé tourner un film sur la famille, mais quand je porte un regard rétrospectif sur ceux que j’ai réalisés, j’ai l’impression de vouloir me libérer de la famille. Mais ce sont des réflexions qui me viennent après-coup.

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