BABEL NET – La révolution numérique est en train de changer le visage de nos sociétés. Savoirs, amours, attitudes… Rien ne sera plus comme avant. Etat des lieux à plusieurs voix.

De Pascal Josèphe, éditions Calmann-Lévy, 252 pages. / De Milad Doueihi, éditions Seuil, 280 pages.

Le monde est entré dans une phase de dérèglements climatiques accélérés. On s’en inquiète, on s’en émeut. Les gouvernements s’engagent à prendre des mesures radicales. Les entreprises repeignent leur communication en vert. Tant mieux. Dans le même temps, une autre menace pointe à l’horizon. Sans déclencher de levée de bouclier cette fois.

La révolution numérique, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est pourtant porteuse de changements profonds et durables. Comportements, relations affectives (voir à ce sujet le dernier livre du psychanalyste Serge Tisseron, Virtuel mon amour, publié chez Albin Michel), transmission du savoir, échelle des valeurs… Aucun domaine n’est épargné.

A contre-courant de l’enthousiasme béat, des intellectuels et observateurs aguerris font entendre leur voix. Manuel Castells fut l’un des premiers, dès 1998, à esquisser les contours de La société en réseaux (Fayard). Il y a quelques mois, c’était au tour du tandem Gilles Lipovetsky – Jean Serroy de se pencher sur les effets de la prolifération des écrans ( L’écran global, Seuil). Deux autres témoins ajoutent aujourd’hui leur pierre originale à l’édifice.

mauvais présage

Le premier est Pascal Josèphe. A l’inverse du philosophe Lipovetsky, qui ne voit pas nécessairement l' » âge écranique » d’un mau- vais £il – pour autant qu’on définisse une nouvelle grille de lecture des images, de plus en plus soumises à la logique du divertissement -, cet ancien homme des médias tire la sonnette d’alarme. Les nouvelles technologies favoriseraient selon lui l’émiettement des individus. Le collectif, garant de la stabilité du système, serait en péril. Dans le même temps, le contrat social serait également rongé par l’immédiateté, la tyrannie du plaisir immédiat. Relié et sollicité en permanence, le citoyen numérique se racrapoterait sur l’instant présent. Entraînant avec lui le politique. Qui n’inscrirait plus son action dans la durée. Du coup, c’est la démocratie qui risque fort de trinquer.  » Les évolutions sont si profondes, si soudaines et si rapides, écrit Pascal Josèphe, que la sauvegarde de la démocratie ne peut s’inscrire que dans un plan digne de celui aujourd’hui mis en £uvre pour la sauvegarde de la planète.  » Un seau d’eau froide à garder à portée de main pour le jour où ça tournerait au vinaigre. Histoire de se réveiller à temps…

les habits de la religion

Dans un autre registre, celui du savoir, l’historien Milad Doueihi interroge lui aussi cette Tour de Babel où transitent déjà 1 milliard d’usagers. Il se montre plus nuancé. S’il s’inquiète du retard du droit (en matière de propriété intellectuelle notamment) et de la réflexion (on pense encore le Net comme s’il s’agissait d’un gros livre alors que la lecture n’y est plus linéaire et que la distinction entre lecteur et auteur s’estompe), il voit dans la culture numérique la  » seule rivale de la religion« . Avec ses chapelles, ses apôtres, ses croyances, ses schismes, etc. Et préconise qu’on applique aux logiciels la même tolérance qu’aux religions instituées. Pour peu qu’on apprenne à utiliser correctement ses ressources, la culture numérique peut être un instrument d’émancipation nous dit l’historien. Une pensée séduisante, quoiqu’un peu ardue, qui incite à l’optimisme.

La cité numérique en devenir sera-t-elle radieuse ou terrifiante? L’avenir nous le dira très vite. D’ici là, ouvrons l’£il.

L.R.

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