LE NOUVEAU DISNEY ADAPTE MARVEL, PILLE LA CULTURE MANGA ET POMPE L’ESPRIT PIXAR… À L’HEURE DU CROSS-OVER ROI, QU’EN EST-IL DE LA SPÉCIFICITÉ DE CE BIG HERO 6, 54E CLASSIQUE D’ANIMATION DES STUDIOS CALIFORNIENS?

L’action se déroule à San Fransokyo, et son Golden Gate Bridge japanisé, ville-valise qui résume à elle seule le principe d’hybridation présidant au film. Cinquante-quatrième classique d’animation des studios Disney, Big Hero 6 (Les Nouveaux Héros pour la version française) se pose en effet comme la libre adaptation d’un comics orientalisant du même nom apparu à la fin des années 90 chez la désormais toute-puissante maison d’édition américaine Marvel (Spider-Man, X-Men, Iron Man, Hulk, Thor, etc.), saupoudrée de l’esprit moderne et référencé des productions Pixar -le lien avec The Incredibles, par exemple, est on ne peut plus limpide. Tout sauf un hasard quand on sait que Marvel Entertainment et Pixar Animation Studios sont devenues des filiales de la Walt Disney Company il y a respectivement six et neuf ans…

Mais concrètement, que reste-t-il de l’ADN Disney dans ce Big Hero 6, au demeurant plutôt sympathique (lire notre critique par ailleurs), qui avec son équipe de jeunes justiciers intellos confrontée à un scénario d’apocalypse surfe au fond éhontément sur toutes les tendances bankables du moment: super-héros, culture geek, action manga…? Tentative de réponse en compagnie de Roy Conli (The Hunchback of Notre Dame, Treasure Planet, Raiponce), le producteur un poil tatillon du film.

Pour la première fois de son Histoire, Disney a donc été chercher son inspiration du côté des super-héros Marvel. Comment est né ce projet?

L’idée vient de Don Hall, l’un des deux réalisateurs du film. En 2010, il venait de finir Winnie the Pooh et se demandait ce qu’il pourrait bien raconter ensuite. Ayant grandi à la fois avec les comic books et les films animés Disney, il s’est dit: « Et si je combinais ces deux passions? » Disney venait justement de racheter Marvel. Don a alors passé des mois sur leur inépuisable page Wikipédia, et a fini par dresser une courte liste de titres qui l’intéressaient, parmi lesquels se trouvait Big Hero 6, soit un comics pour le moins obscur du catalogue Marvel. Il en aimait le nom, et le fait qu’il s’agisse d’un récit de super-héros vivant à Tokyo. Une fois le feu vert donné, il a été convenu que nous aurions la latitude d’imaginer sur cette base une histoire totalement originale, se déroulant dans un univers redéfini par nos soins. Celle de Hiro, un petit génie de 14 ans spécialisé dans la robotique, de son frère Tadashi et de leurs amis, grosses têtes appelées à de grandes responsabilités dans une ville hybride et high-tech en péril.

Au final, le film est très spectaculaire, et assez impressionnant en termes d’action, mais c’est aussi un objet foncièrement bâtard, une adaptation d’un comics américain qui doit beaucoup à la culture populaire asiatique. Le piège n’est-il pas de noyer la spécificité historique de la maison Disney dans ce grand mix très tendance?

Encore une fois, le film n’est pas une adaptation au sens strict du comics éponyme, il en est très librement inspiré, j’insiste vraiment sur ce point -nous avons délibérément opté pour un titre peu connu du grand public afin de pouvoir nous l’approprier pleinement. Ensuite, je le vois moins comme un grand mélange des genres que comme une vibrante déclaration d’amour au Pacific Rim (l’ensemble des territoires situés autour de l’océan Pacifique, ndlr). Il s’agit d’une projection de notre monde moderne et multiculturel, avec des personnages bien d’aujourd’hui. Vous savez, quand nous produisons des films qui évoquent trop clairement d’anciens films Disney, on nous reproche de ne pas évoluer. Et quand nous présentons quelque chose de sensiblement différent, plus en phase avec l’air du temps, on nous reproche de trahir nos gènes. C’est un problème relativement insoluble…

Certes, mais avouez que c’est assez troublant: en 2012, par exemple, Brave sortait sous le label Pixar tout en renouant avec l’esprit très conte de fées de Disney, tandis que Wreck-It Ralph s’affichait sous pavillon Disney tout en revendiquant une large influence Pixar. A force de s’inspirer les uns des autres, tout ne va-t-il pas juste finir par se ressembler, et être interchangeable?

Nous avons déjà beaucoup réfléchi aux différences intrinsèques entre Disney et Pixar, et nous en sommes arrivés à la conclusion suivante: l’univers Pixar est un monde de « What If » (« Et si… », ndlr), tandis que l’univers Disney relève plutôt du « Once upon a time » (« Il était une fois… », ndlr). Big Hero 6 a beau s’avancer sous un vernis futuriste, il y a aussi définitivement du « Once upon a time » dans cette histoire. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas faire que du conte de fées. Ce serait même idiot de notre part. Nous passerions à côté de tout un éventail de possibles terriblement excitants…

Vous-même, vous travaillez chez Disney depuis plus de 20 ans à présent: de l’intérieur, comment décririez-vous l’évolution des studios californiens au cours de ces deux dernières décennies?

Pour faire court, je suis arrivé chez Disney durant l’ère Lion King, soit une véritable période de renaissance pour les studios, à laquelle n’a pourtant pas manqué de succéder une difficile période de vaches maigres, créativement parlant. Durant ces quelques années, notre erreur a sans doute été de privilégier l’aspect commercial de la production, au détriment de considérations plus artistiques. Et puis John Lasseter (réalisateur de films aussi emblématiques que Toy Story et Cars chez Pixar, ndlr) est arrivé, qui occupe depuis 2006 le poste de Directeur Artistique à la fois chez Pixar et chez Disney. Il a indéniablement imprimé un élan nouveau au sein des studios, qui commence seulement à porter ses fruits aujourd’hui. Concrètement, il a instauré un nouveau système de fonctionnement qu’il appelle le Story Trust, sur le modèle du Brain Trust cher à Pixar.

C’est-à-dire?

Il s’agit d’un véritable groupe de travail, une structure composée de différents réalisateurs des studios qui planchent en équipe sur chaque histoire en développement. Sans aucun tabou. En étant exigeants et sincères les uns envers les autres. Attention, ce comité est d’ordre purement consultatif, à aucun moment il ne se retrouve en charge de l’écriture du scénario à proprement parler. Au final, en effet, c’est toujours l’auteur aux commandes du film concerné qui tranche. Mais il doit pouvoir compter sur les avis fiables et les suggestions éclairées de ses pairs au moment de penser son récit. L’idée, c’est vraiment de raconter la meilleure histoire possible, de nous dépasser pour faire de chaque long métrage une oeuvre unique et aboutie, avec tout l’humour et l’émotion que le public est en droit d’attendre d’une production Disney.

Les personnages de Big Hero 6 fonctionnent au fond un peu selon le même principe de brainstorming, tirant leur force de leur intelligence. Sauf qu’en l’occurrence, il s’agit d’un groupe de nerds passionnés de science amenés à combattre le mal. Il y a encore quelques années à peine, les intellos, les geeks, étaient plutôt sujets de raillerie. Aujourd’hui, ils semblent avoir véritablement pris le pouvoir, dans la vraie vie comme au cinéma…

Mais complètement! Vous savez, étant moi-même un total nerd, je crois que c’est la plus grande révolution à laquelle j’ai assisté durant mon existence: désormais, les gens cools sont les gens intelligents. C’en est fini des gros durs et des athlètes (rires). Qui sont nos héros aujourd’hui? Steve Jobs, Bill Gates… Des types malins, brillants. Du début à la fin, Big Hero 6 n’est rien d’autre qu’une célébration des nerds et de leur pouvoir. Leurs aptitudes et leurs costumes, les personnages les doivent à leur ingéniosité et leur amour pour la technologie. Et si les gamins qui vont voir le film en ressortent avec une passion soudaine pour la science et les robots, alors je crois que c’est gagné.

RENCONTRE Nicolas Clément, À Paris

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