L’irrésistible duo réussit brillamment le grand saut vers le long métrage avec un Panique au village où leur humour fou prend une nouvelle dimension.

On dirait le Bronx, mais c’est Bruxelles, à un jet de pierre du canal et dans un grand immeuble industriel où sont abrités les décors de Panique au village (1). Vincent Patar et Stéphane Aubier nous reçoivent au beau milieu de ces reliques où trônent les figures géantes de Cow-Boy et Indien, les principaux protagonistes – avec Cheval – de leur série culte devenue long métrage spectaculaire. Nos deux héros sont de retour de Cannes, où ils ont pris d’assaut (en tracteur) les marches du Festival pour une projection de minuit (commencée en fait à 1 h du matin) enthousiasmante en diable…

Vous n’êtes tout de même pas allés jusqu’à Cannes en tracteur?

Non, l’engin était caché juste derrière le Palais des Festivals. Nous avons triché un peu (rires)! Mais le contraste n’en était pas moins saisissant avec tous ces « jouets » que les gens en vue avaient, toutes ces limousines et bolides rutilants que notre tracteur a croisés sur son court mais mémorable trajet…

Une autre image à retenir de cette excursion au plus fameux Festival de cinéma du monde?

Deux images, en fait. D’abord la salle immense, entièrement vide, dans la nuit, au moment des essais techniques précédant la projection. Et puis cette panne d’électricité le jour de notre arrivée, juste au moment où nous cherchions à louer chacun un smoking pour la montée des marches. Nous cherchions des costumes noirs dans le noir. Le magasin s’appelait Jour de fête

Comme le film de Jacques Tati, qui est une de vos références… Un joli clin d’£il! Mais revenons en arrière. Quel était votre état d’esprit au moment d’entamer Panique au village, le long métrage?

Nous avions fait une liste de tout ce qui pouvait nous donner envie. Parmi les différents projets, il y avait cette idée d’un long métrage. C’est en discutant avec Guillaume (Malandrin) et Vincent (Tavier), nos producteurs, que cette dernière idée s’est cristallisée. Au départ, on n’a rien dit à personne, on se réunissait en secret pour peser le pour et le contre… Mais les projections d’épisodes de la série sur grand écran nous avaient convaincus que cet univers pouvait bien « passer » de la télé aux salles de cinéma. Et puis nous avions confiance en nous. Nous avons beaucoup de facilité à trouver et à raconter des histoires.

Le processus d’écriture fut pourtant bien long…

En effet, nous nous sommes vite rendu compte que c’est plus difficile que ça, d’écrire un long métrage! Nous dessinons tout le temps, ainsi nos idées s’expriment directement de manière visuelle, sous forme de storyboards. On en a fait plein, mais cela ne fut pas évident de raccorder toutes ces idées. Parfois elles allaient trop loin, s’éloignaient du sujet. Il nous fallait du recul, et nous n’y étions pas habitués avec notre rythme de travail assez rapide, en série… On a dû apprendre à savoir revenir en arrière, repréciser et mieux argumenter les choses.

Le budget a-t-il eu quelque influence sur ce qui a été possible ou non de réaliser à l’écran?

Pas vraiment, car nous maîtrisons bien le processus créatif, et aussi parce qu’hormis le fait de travailler dans des décors plus élaborés, et d’avoir quelques effets spéciaux digitaux (les poissons dans le monde sous-marin), cela reste un travail artisanal, fait main, dont nous contrôlons tous les aspects, y compris économiques sans risquer le coup de folie. C’est toujours du cinéma à dimension très humaine, à petit budget, fait dans un esprit de bricolage, sans aucune démesure. Chez nous, tout sert, on ne jette rien!

Le passage au format Cinémascope a-t-il eu des conséquences?

Aux essais, on a vite compris que les détails des personnages étaient insuffisants, et qu’aussi tout était grossi, la moindre tache de poussière sur les décors se remarquait! Il a fallu assurer une finition « nickel ». Sur les courts métrages, on pouvait faire jusqu’à une quinzaine de plans par jour. Sur le long, il a fallu ralentir le rythme, histoire que tout soit soigné, précis.

Une idée marquante est celle du Conservatoire de musique, avec la prof dont Cheval tombe amoureux.

Elle est venue très vite, avec cette autre idée qu’est la commande des briques. La prof, Madame Longrée, amène dans l’histoire l’élément amoureux, romantique, à travers sa relation avec Cheval. Que Jeanne Balibar lui ait prêté sa voix est un bonheur pour nous!

Comment se pose le défi du rythme sur un long métrage, surtout quand on a fait de la vitesse une vertu dans les courts métrages de Panique au village?

On ne voulait pas d’un film à sketches. On a donc embarqué nos personnages dans une quête, et aussi développé cette amourette entre Cheval et Madame Longrée en parallèle de l’histoire. Nous avons également repoussé la tentation de faire trop long. Au-delà de l’heure trente, un film d’animation va dans le mur. Nous sommes prudemment et largement restés en-deçà de cette limite (rires)…

Peut-on « improviser » au terme de la préparation dont pareil projet fait l’objet, et alors qu’on filme en animation « image par image »?

Dans notre cas, oui, absolument! Avec nos petites figurines en plastique, nous sommes beaucoup plus proches du « live » que dans le dessin animé ou les images de synthèse! T’es pas coincé, t’as pas de « lipping » (synchronisation des mouvements de la bouche d’un personnage avec les mots que la bande sonore lui fait prononcer, ndlr). Si tu as une idée sur le moment même, devant la caméra, libre à toi de la tenter. A figurine rigide, souplesse de création! Et une liberté dont nous tirons le parti maximal.

(1) voir la critique du film en page 28.

Entretien Louis Danvers

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