PHILIPPE GARREL POURSUIT, AVEC LA JALOUSIE, UNE oeUVRE TOUTE SINGULIÈRE, AU CARREFOUR DE L’INTIME ET DE L’UNIVERSEL. RENCONTRE AVEC UN CINÉASTE ENVISAGEANT SON ART À LA MANIÈRE D’UN PEINTRE

Philippe Garrel a construit, en 40 ans et quelque, une oeuvre à nulle autre pareille, entamée sur les cendres de la Nouvelle Vague avant de prendre le maquis de l’underground, puis de renouer avec une manière de faire que n’auraient pas désavouée ceux qu’il continue à nommer ses maîtres, Godard en premier. Ce qui, traduit en quelques titres, donne une filmographie conduisant de Marie pour mémoire à La Cicatrice intérieure; de L’Enfant secret à Les Baisers de secours; des Amants réguliers à, aujourd’hui, La Jalousie, parcours conduit en toute indépendance et avec une liberté forçant le respect. Dût-il, du reste, parfois en supporter les conséquences: on se souvient ainsi de l’accueil houleux réservé, il y a quelques années à Cannes, à La Frontière de l’aube, et à ses apparitions qui retrouvaient pourtant l’essence même du cinéma. « Un peu comme si les gens m’avaient dit: « Oh la la, mais on est au XXIe siècle, on ne fait plus des films comme à l’époque de Cocteau. » Sauf que moi, je trouve que l’imaginaire du cinéma se fait beaucoup mieux manuellement. On m’a dit que j’avais filmé l’inconscient, et je ne pense pas que ça serait plus une apparition de l’inconscient si on le faisait en numérique. Peut-être même à l’inverse. »

Communiquer avec la femme

Anachronique pour les uns, Garrel est plutôt de ceux qui ont réussi à inscrire leur démarche hors du temps. Sa manière de faire évoque la pratique artisanale d’un peintre, connexion qu’il appelle d’ailleurs de ses voeux: « Le plaisir de l’atelier pour un peintre, c’est-à-dire le fait d’être en train de peindre le tableau est beaucoup plus fort que celui de l’exposition. C’est pour cette raison-là que je fais les choses, toute la logique de mon comportement vient de là. » Et d’en référer, encore, à son attachement à l’underground: « C’est quelque part pour moi être fidèle à 1968, le fait de ne pas vouloir mettre ses films dans la machine. Je viens de là, et ce truc-là m’est resté. » S’il se défend néanmoins d’être nostalgique –« je suis trop ambitieux pour cela, je n’ai absolument pas fini mon travail de cinéaste, je pense devoir encore faire des films pendant 20 ans, cela me préserve de la nostalgie »-, Philippe Garrel revendique par contre un héritage. Verrait-on ainsi dans son avant-dernier opus, Un été brûlant, une variation sur Le Mépris de Jean-Luc Godard qu’il parle pour sa part d' »étude » –« comme en peinture classique, avec les peintres qui appartiennent à une filiation, et qui travaillent dans l’atelier. J’avais choisi de faire du cinéma avant de voir un film de Godard, mais dès l’année suivante, quand j’ai vu un film de Godard et un autre de Truffaut, j’ai décidé de prendre Godard pour maître. C’est un cinéaste qui communiquait avec la femme avec sa caméra. Tandis que Truffaut racontait des histoires où il y avait des femmes, mais c’était la femme vue par l’homme, tout le long. Alors que chez Godard, j’avais l’impression que, de temps en temps, la femme était créatrice du plan. Le fait d’échanger entre les deux sexes, et qu’une caméra serve à communiquer sur l’incommunicable m’intéressait plus. »

Ce motif-là, comme celui de la filiation d’ailleurs, est devenu consubstantiel de son cinéma, inscrit au confluent de l’intime et de l’universel. Ainsi, aujourd’hui, de La Jalousie, un film où Philippe Garrel raconte une histoire d’amour vécue par son père, Maurice, alors qu’il était âgé d’une trentaine d’années; père qu’il a demandé à son propre fils, Louis, d’interpréter, aux côtés de sa fille Esther, suivant une architecture moins complexe, in fine, qu’il ne pourrait paraître de prime abord. L’oeuvre, pour autant, n’a rien de nombriliste, qui touche à quelque chose de plus essentiel, comme soustraite aux contingences matérielles. Rien d’étonnant, à vrai dire, lorsque l’on entend l’auteur marteler « faire des films parce que j’aime les faire, j’aime l’art, c’est quelque chose à quoi je crois, et c’est cela qui me lie à un certain nombre d’autres êtres, dont certains que je ne connais pas. Cela doit remplacer la religion, comme je suis athée. La vie finira un jour, il faut bien que je sois lié avec certains, et c’est par l’art que j’y arrive… »

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers, À Venise

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