Voyage dans l’univers du pourfendeur auto-proclamé de l’Amérique des puissants, un agitateur aux procédés discutables.

Faut-il brûler Michael Moore? Empêcheur de capitaliser en rond, voilà une vingtaine d’années que ce dernier fait office de poil à gratter de l’Amérique, dénonçant les abus des puissants comme les manquements du système. Intentions légitimes, sans doute, qui en font un porte-drapeau de la gauche américaine, mais assorties d’un malaise certain. Mélange de provocation, de roublardise voire de malhonnêteté intellectuelle, suivant le principe que la fin justifierait les moyens, la méthode Moore apparaît pour le moins discutable. Pour qui en douterait encore, la triple actualité DVD dont est aujourd’hui l’objet le cinéaste apporte un témoignage éclairant.

VOLONTÉ SATIRIQUE

La pièce la plus savoureuse au dossier est sans conteste l’intégrale de L’incroyable vérité( The Awful Truth), show télévisé imaginé par le réalisateur de Roger and Me à la fin des années 90. Moore y dénonce, avec une verve indéniable, les maux de l’Amérique, tout en exerçant déjà sa rhétorique de bateleur. On y voit en effet, appliquées au format télévisuel, les méthodes utilisées par Moore dans ses longs métrages, de Bowling for Columbine à Fahrenheit 9/11, à la nuance près que la volonté satirique est ici clairement affirmée, avec ce que cela suppose comme licence, d’une part, comme épaisseur de trait, d’autre part.

Pourfendeur auto-proclamé de la corporate America, Moore ne fait donc pas dans la dentelle: qu’il traque Kenneth Starr ou sillonne l’Amérique profonde au volant de sa sodomobile, l’humeur est plus à la farce grossière qu’à la réflexion de fond. De même, l’argumentaire ne dépasse-t-il que rarement l’énoncé simpliste de faits cependant avérés, exposition racoleuse suivie d’une mise en scène immuable (un peu de provoc sous le nez de ceux qu’il a pris pour cibles, procédé douteux piteusement utilisé, on s’en souvient, à l’égard de Charlton Heston dans Bowling for Columbine) et d’une solution généralement réductrice.

Irritant par bien des aspects (son zèle délateur et son côté inquisiteur, de même que son populisme affirmé notamment), saoulant dans sa dimension répétitive, le discours de Moore n’en étonne pas moins par sa liberté de ton. Tout comme, d’ailleurs, l’animateur surprend par ses impulsions soudaines: organiser le parachutage de téléviseurs à l’attention des talibans en Afghanistan, voilà qui est peu banal, on en conviendra. Quant au test d’intelligence de la police tel que pratiqué à New London, Connecticut, on peut y voir un (petit) modèle d’humour absurde.

Evoqué par L’incroyable vérité, le système de santé américain est au coeur de Sicko, dernier long métrage en date du réalisateur. S’attaquant à la mainmise du privé sur ce système – qui laisse quelque 50 millions d’Américains sans assurance, sans compter ceux, couverts mais que l’on décourage d’utiliser leurs droits -, Moore ne lésine pas sur les moyens, faisant flèche de tout bois dans une charge mordante (et drôle à l’occasion).

APPROXIMATIONS ET CONTRE-VéRITéS Emporté par son élan, il a toutefois la malencontreuse idée de se risquer à une comparaison avec les systèmes en vigueur au Canada, en Grande-Bretagne et en France. Plus que de longs discours, la caricature qu’il donne alors à voir suffit à discréditer sa méthode, tant son propos apparaît ici comme un tissu d’approximations et de contre-vérités.

Réalisé par deux documentaristes canadiens, Debbie Melnyk et Rick Caine, Polémique système enfonce le clou, écornant un peu plus le crédit du cinéaste. Etayé par de nombreux témoignages, le film décrit un Moore résolument manipulateur, ayant du respect de la vérité une conception pour le moins élastique, et semblant au moins autant concerné par la réussite de son entreprise que par celle de dénonciation lui servant de fond de commerce.

Michael Moore Inc.? Une entreprise profitable, assurément, et un système désormais bien rodé. Il y a d’ailleurs une ironie féroce à voir comment le réalisateur se soustrait aux demandes d’interviews des deux documentaristes, rejoignant en cela Roger Smith, patron de la General Motors qu’il tentait de rencontrer dans Roger and Me. Le trait final de Polémique système est, à cet égard, assassin: le film nous apprend, en effet, que Moore avait rencontré Smith, ce dernier ayant répondu à ses questions. L’épisode fut toutefois écarté du montage, car n’épousant point la thèse d’un cinéaste guère à cheval sur les principes éthiques. Ou comment sacrifier la rigueur du documentariste sur l’autel du divertissement efficace, genre pour lequel on ne déniera pas à Michael Moore d’incontestables dispositions…

L’Amérique de Michael Moore

zzzIntégrale de L’incroyable vérité. Un coffret de 4 DVD. 10 h. Distribué par Mélimedias.

Sicko

zzzDe Michael Moore. 1 h 58. Distribué par A-Films.

Michael Moore. Polémique système

z De Debbie Melnyk et Rick Caine. 1 h 37. Import Wild Side.

TEXTE JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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