True Blood, nouvelle série vampirique signée Alan Ball (Six Feet Under), débarque sur Be tv en février. L’occasion de prendre le pouls de l’industrie américaine et de disséquer l’anémie de la création francophone.

En avance alors qu’il se rend chez son dentiste, Alan Ball fait un détour par une librairie et en ressort avec Dead Until Dark, premier roman de la série The Southern Vampire Mysteries de Charlaine Harris. Il va dévorer le livre et ses suites, rapidement convaincu de tenir une base solide pour un nouveau projet de série : True Blood. Le pitch? Des scientifiques japonais ont mis au point un sang de synthèse commercialisé sous le nom de « Tru Blood ». Vendu en bouteilles dans les bars, il permet surtout aux vampires de se passer désormais de sang humain. Et par la même occasion, de sortir de l’ombre pour tenter de s’intégrer. A partir de ce postulat aussi improbable que brillant, Alan Ball tire un objet étrange, bâtard. Rencontré à Deauville en septembre dernier alors qu’il y présentait Towelhead, sa première réalisation pour le cinéma (on lui devait déjà le scénario d’ American Beauty), il nous avait fait part de son désir de tourner pour de bon la page Six Feet Under, sa profondeur, son côté tellement fort et intimiste qui a changé, selon leurs dires, la vie de fans bouleversés. Confirmation dès les premiers épisodes de True Blood. On s’attendait à priori à un renouvellement en profondeur du mythe du vampire, charriant son lot de questions existentielles sur la finitude des choses et repoussant les limites des possibilités offertes par la vie éternelle, et l’on se retrouve face à un divertissement jonglant sans cesse entre premier et second degré, à la pile croisée entre comédie sentimentale et slasher movie. Avec une bonne dose de sexe et quelques belles giclées de gore qui tache. Tout pour plaire au plus grand nombre en somme. De fait, démarrées sur un mode mineur malgré une campagne de marketing viral pour le moins agressive, les audiences n’ont cessé de grimper en cours de saison, boostées entre autres par les rediffusions et le système HBO On Demand, pour assurer un joli succès à la série, d’ores et déjà reconduite pour une seconde saison. Un succès bienvenu pour une écurie HBO dont le besoin de trouver de nouveaux poulains relève plus que jamais de l’urgence. Chaîne à péage américaine garante de programmes de qualité, HBO (pour Home Box Office) est surtout réputée pour les shows qu’elle crée et produit et a connu ses plus belles heures de gloire avec des séries aujourd’hui toutes arrêtées ou clôturées ( Sex and The City, The Sopranos, Six Feet Under, Rome, Oz). A cette difficulté de renouer avec des shows à la fois aboutis et bankables vient s’ajouter une concurrence féroce. Hier leader incontesté du genre, HBO se voit disputer sa suprématie par quelques sérieux prétendants aux arguments de poids. C’est Showtime et ses Dexter, Weeds, Californication ou The L Word. ABC et ses Lost, Desperate Housewives, Grey’s Anatomy. FX et ses Nip/Tuck, Damages, Rescue Me ou The Shield. Entre autres. Dans ce contexte, le succès grandissant de la nouvelle série d’Alan Ball pourrait bien faire office de déclencheur pour HBO, ouvrant la voie au renouveau tant attendu.

Simple divertissement consommable, sympathique, émaillé de quelques jolis coups de sang, True Blood?

Ball des vampires

Qu’on ne s’y trompe pas. Sous la peau lisse et blafarde du show palpite un sous-texte passionnant, annoncé dès le générique crade, tordu, et porté par la country poisseuse de Jace Everett. Autour de la brave et gentille serveuse Sookie Stackhouse (Anna Paquin, découverte gamine dans The Piano) et de la faune de rednecks décérébrés du fin fond de la Louisiane qui compose le décor se dessine une galerie de personnages marginaux ou inquiétants : junkies, dealers, obsédé sexuel, gigolo pédéraste, tueur fou. Tandis que dans l’ombre de Bill Compton, amant aux dents longues en quête d’intégration, grouille tout un bestiaire allumé de vampires décadents, cruels, indomptables. Et entre ces deux pôles s’instaure un vertigineux réseau de fluides: salive, sperme et sang bien sûr. Car si nombreux sont les vampires incapables de s’empêcher de consommer du sang humain malgré l’apparition du Tru Blood, nombreux aussi sont les humains qui se fournissent sous le manteau en sang de vampire, dope surpuissante aux vertus hallucinogènes, zenifiantes ou érectiles. Cette dialectique entre surface et profondeur, masque sociétal et vrai visage, apparences et pulsions tient toute entière dans le don de Sookie, capable de lire dans les pensées les plus intimes du tout commun. Elle est celle qui fait le lien entre le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible. Et c’est ici que se marque profondément la patte d’Alan Ball, créateur capable d’articuler sous la façade d’un divertissement de genre somme toute prévisible un vrai discours sociétal, nuancé et complexe. Comment en effet ne pas voir dans cette communauté de vampires soucieux de s’intégrer le reflet de l’Amérique des minorités qui en ont bavé et se sont battus de tout temps pour réclamer droits et considération?

Impression confirmée par Stephen Moyer (Bill le vampire dans la série) lors de notre rencontre à Londres:  » Quand Bruce Wayne apparaît pour la première fois en tant que Batman à Gotham City, les gens ont peur de lui. Ils ne voient pas au-delà du masque, ils croient à quelqu’un qui veut leur faire du mal, même si Batman est quelqu’un qui veut le bien. C’est ce qui m’a marqué avec True Blood : Alan plonge ce vampire dans un monde tout à fait normal et tout le monde pense qu’il est malfaisant, parce qu’il est différent. Il doit se battre pour prouver qu’il n’est pas mauvais. Comme toutes les minorités oppressées ont pu le faire. Là-dessus, tu peux coller la métaphore que tu veux. » Avec Ball, difficile de ne pas y voir surtout une métaphore de l’histoire de la communauté gay américaine. D’autant plus quand il pose discrètement en fin de saison la question du mariage entre vampires et humains. « True Blood est moins une série sur les vampires que sur la façon dont les gens réagissent à ce qui les effraie, ce qu’ils ne comprennent pas« , ajoute Stephen Moyer. Et si True Blood n’est pas la morsure de la bête, en apparence superficielle, elle n’en laisse pas moins une marque tenace, infectieuse, tandis qu’elle irrigue de son sang neuf nos postes de télévision. A boire jusqu’à la lie donc…

àsuivre sur Be 1 dès le 2/02.

Texte Nicolas Clément

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