Hyperactif, agressif et abrasif, Jay Reatard, aussi pop que les Ramones, s’assied sur les cendres du punk et ravive la flamme.

« Vous avez toujours l’air en colère quand on vous voit sur scène. C’est le cas? »  » Pas du tout. Ce qui me fout en rogne, c’est les plateaux de télé comme le vôtre. » On est aux Trans Musicales de Rennes, en décembre dernier, et Jay Reatard affiche tout son sens de la répartie au micro d’une chaîne de TV locale. De son propre aveu, Jay Lindsey (son vrai nom) s’est toujours davantage défini par ce qu’il haïssait que par ce qu’il aimait.  » Les gens prétendent qu’il est aisé de tout détester. Moi, je pense que c’est en consommant, en appréciant tout ce qu’on vous met sous le nez qu’on tombe dans la facilité« , explique le jeune homme qui fêtera ses 29 ans le 1er mai.

La musique l’aide à canaliser sa rage, ses ressentiments. Comme elle l’a de tout temps permis à des tas de kids. Qu’ils viennent de Londres, de New York, de Pékin, Rio ou Kinshasa. Qu’ils fassent du punk, du métal ou du hip hop.

Jay abhorre la musique électronique récupérée par le rock.  » Regarde autour de nous et repenses-y« . La mode aussi.  » C’est le conformisme ultime. Dans un monde postmoderne, les gens se donnent une identité à travers les produits qu’ils achètent. Ils n’ont plus la moindre once de personnalité. Tout le monde se juge sur l’apparence. Je ne dis pas que je vais me promener à poil. Mais la mode me fait chier. » Il entretient encore une profonde aversion pour les fast-foods.  » Leurs clients me dégoûtent. Ils incarnent ceux qui préfèrent la satisfaction immédiate d’une option facile à l’utilisation de leur esprit ne serait-ce que deux petites secondes pour trouver une autre possibilité qui se trouve la plupart du temps juste au coin de la rue. »

Jay a déjà une chiée d’albums à son actif. Avec The Reatards, The Lost Sounds, The Final Solutions ou encore The Bad Times… Il a écrit ses premières chansons vers l’âge de 13 ans et a enregistré son premier disque à 15 berges. Il vient de Memphis.  » Une ville où Elvis Presley est aussi présent que Mickey Mouse à Disney World et que le Christ au Vatican. C’est une icône. Un produit « marketé » pour les masses. Il n’a jamais rien signifié à mes yeux. Je trouve toutefois intéressant de voir quel enculé il était. Sa vie me semble bien plus intéressante que sa musique. »

Comme le King, l’insolent a failli se faire récupérer. L’industrie aime les grandes gueules. Les fortes têtes. De grosses maisons de disques ont essayé de l’enrôler. Certaines le voyaient déjà comme le nouveau Kurt Cobain. Jay préfère le punk au grunge et au classic rock. Pas les Heartbreakers.  » Des fashion victims« . Ni les New York Dolls.  » Du show business« . Non. Son truc à lui, c’était les Ramones, les Wipers.  » Je vois le punkcomme quelqu’un de puéril et d’immature. Quelqu’un qui aime foutre la merde juste pour voir les problèmes qu’il va pouvoir susciter. Quand j’avais 15 ans, je rêvais de devenir Stiv Bators. Je trouvais que les Dead Boys étaient le meilleur groupe de tous les temps. Puis j’ai réalisé qu’eux aussi n’étaient qu’un concept. Pour moi, on arrête d’être un punk quand il y a plus de choses qu’on aime dans l’existence que de choses qu’on exècre. A ce moment-là, on rentre dans le rang. Dans la vie normale. Or, je suis toujours embêté et agacé par pas mal de trucs. »

Seul contre tous

Sur la pochette de ses Matador Singles, assurément l’une des plaques les plus enthousiasmantes qu’il nous ait été donné d’entendre en 2008, on voit Reatard allongé dans sa baignoire. Trempant dans des dizaines de vinyles. « J’essaie d’acheter trois disques par semaine, explique JR. Dont deux dont je n’ai jamais entendu parler et que je découvre grâce à ce putain de misérable Internet. « 

Le bonhomme a la tête dure sous sa tignasse ondulée. Serait-il tombé dans l’élitisme en ne sortant ses simples, ensuite réunis par Matador, qu’en édition ultralimitée? « J’ai toujours favorisé ce format. Parce qu’il est plus facile de pondre un single qu’un album entre deux escapades sur la route. Je ne vais pas modifier ma manière de faire et d’être parce que mon public change. Si ça veut dire distribuer une plaque à 400 exemplaires alors que 40 000 personnes veulent l’acheter, qu’il en aille ainsi… Je n’avais jamais vendu plus de 3 000 disques auparavant. »

Avec Bradford Cox ( Deerhunter,Atlas Sound) dont il reprend un morceau sur sa compilation, Reatard partage une certaine prolixité, pour ne pas parler de frénésie. Il donne de la musique gratuitement, enregistre des sujets pour les blogs. « On brise le processus. Et l’idée que la création musicale a un rythme. On peut faire beaucoup de choses de son temps. On peut boire, prendre de la drogue, avoir des gosses. Moi, c’est la musique qui me tient éloigné des emmerdes. Je me fous dans le pétrin quand je m’ennuie et je m’ennuie très vite. Je m’arrête. Je m’assieds. Et j’ai tout de suite des sales idées qui me viennent à l’esprit. »

Jay est un punk. Un punk de la nouvelle génération. Du moins une version du punk moderne. Il ne porte pas de crête et lorsqu’on croise son chemin, il carbure à l’eau claire. A arrêté de picoler depuis quelques mois.

« Ado, j’étais très calme. Jusqu’à ce que je découvre l’alcool et devienne un monstre. Lors des soirées,je restais dans mon coin, seul, et je mijotais mes mauvais plans pour la nuit. Quand la vie roulait,je m’empressais de tout gâcher. Je faisais en sorte qu’on me haïsse. Je nourrissais l’impression de me retrouver seul contre le reste du monde. J’ai toujours ressenti le besoin d’avoir quelque chose contre lequel lutter. »

Sous le nom de Jay Reatard, Lindsey a déjà sorti un album et deux compilations. « Mon nouveau disque sera plus accessible au grand public mais constituera un challenge pour ceux dont je suis déjà familier. Je suis plus pop mais je reste punk. J’écris toujours des chansons sur l’envie irrépressible de tuer. »

www.myspace.com/jayreatard

http://jayreatard.blogspot.com/

Matador Singles’08, chez Matador.

En concert au Trix (Anvers) le 8/03 et à La Cave aux poètes (Roubaix) le 9/03.

Texte Julien Broquet

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