Après des films tels que Sin City ou 300, on annonce un Tintin ni vraiment humain, ni seulement animé. Prêt pour l’acteur mutant?

Dans la trilogie du Tintin produit par Steven Spielberg, l’image sera en PC ( Performance capture): des acteurs sont mis en scène puis leurs corps – bardés de capteurs – et les mouvements produits sont réintégrés dans un long et complexe travail en 3D. On l’a déjà vu dans Polar Express où Tom Hanks est ainsi captépour être recomposé dans une esthétique proche de l’animation pure, mais avec un surplus d’humanité. Avec cette technique, le naturel des corps surpasse l’animation classique même au plus haut degré de sophistication numérique. C’était le cas dans les autres exemples de performance capture que sont La légende de Beowulf et Monster House. Grosso modo, les acteurs de Tintin seront isolés dans des décors et meubles stylisés au strict minimum: face à eux-mêmes. Tout comme les protagonistes de Sin City et 300, longs métrages tournés dans un procédé voisin du PC: en plateau sans décor, sur fond vert ou bleu (green ou blue key) ensuite réanimé en 3D. Au-delà de la question légitime sur le plaisir de l’acteur à jouer dans un environnement aussi abstrait, on se demande si la sophistication extrême du procédé utilisé par Spielberg – dont le père était ingénieur informaticien – ne va pas complètement éradiquer l’âme de Tintin. Celle-ci est de nature cartoonesque, ligne claire et rêveuse. Tintin n’a pas d’âge, pas de sexualité affirmée, pas de famille, c’est une entité mystérieuse et utopique qui s’épanouit en 2D dans des aplats de couleurs simples. Le passage à la 3D dans un univers ultra-perfectionné, mécanisé, robotique, a-t-il un sens autre qu’une gigantesque opération commerciale symbolisée par trois blockbusters, de surcroît vus au travers du prisme souvent réducteur de la culture américaine de masse? Sur le papier, l’entreprise technique intrigue. En pratique, cela ne va-t-il pas simplement transformer le personnage Tintin en marionnette Marvel?

Corps à c£ur

Depuis sa naissance il y a un bon siècle, le cinéma a truqué ses images. Pendant longtemps avec de charmants moyens en carton-pâte: l’illusion est bon marché et se fabrique directement sur le plateau. Puis, au stade suivant, le laboratoire travaille l’effet à même la pellicule – ralenti, superposition, apparition de corps étrangers -, comme un artisan qui expérimente de nouvelles formes. Tout a-t-il changé avec l’apparition du numérique? Non, même l’infinie sophistication digitale n’a pas modifié l’élément central de la fabrication d’un film: l’émotion. Ainsi, dans le magnifique La valse de Bachir, sorti en 2008, qui raconte le trauma d’un Israélien qui ne se rappelle plus de sa sale guerre du Liban, et part sur ses traces douloureuses, le procédé d’animation – classique et très réussi – nous plonge dans un univers onirique de cauchemar éveillé. Mais ce qui reste à la fin de la projection de cette élégante animation, c’est l’impression d’avoir vécu un moment intense de cinéma, donc d’humanité. Si le projet Tintin dont le premier volet sortira en 2011, pouvait restaurer cette magie-là, celle d’une enfance qui ne veut jamais grandir et de l’âme comme carburant de l’acteur, considérons le pari réussi. Encore faut-il que la technique n’ensevelisse pas le grain de fausse naïveté de tout cela… l

DE PHILIPPE CORNET

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content