La geste d’Aldobrando

Des auteurs de BD résistent à la « disneyification » des contes de fées comme à l’heroic fantasy de bas étage, opérant un retour aux sources salutaire.

Bien avant de s’abîmer les yeux sur les écrans, les enfants écoutaient des histoires merveilleuses, pendus aux lèvres des anciens qui les leur racontaient. Les plus fameuses sont arrivées par le biais des frères Grimm, Andersen et autre Comtesse de Ségur. Si elles étaient merveilleuses, elles n’en étaient pas moins morales avec une bonne dose de violence. Ce dernier aspect est passé à la moulinette de la révolution Disney qui n’a retenu que le merveilleux, édulcorant la sauce jusqu’à la lie afin d’éviter de traumatiser nos chères têtes blondes. Mais depuis quelques années, dans le milieu de la bande dessinée, certains auteurs -Joann Sfar pour les éditions aujourd’hui disparues Bréal jeunesse ou le génial scénariste Hubert- se sont attaqués au genre pour lui rendre ses lettres de noblesse. C’est au tour des Italiens Gipi, au scénario, et de Critone, au dessin, de s’engouffrer dans la brèche. Dans un Moyen Âge fantasmé -mais pour le coup, pas merveilleux du tout-, le jeune Aldobrando se voit confier une mission par son vieux tuteur blessé: s’en aller cueillir une plante médicinale qui lui permettra de guérir. Le gamin chétif se lance dans sa quête, mais surtout dans la gueule du loup. Naïf comme au premier jour, il prend pour argent comptant tout ce qu’on lui raconte. D’abord, il rencontre Sire Gennaro Montecapoleone, qui se prétend fils de seigneur et à propos duquel le lecteur a vite fait de comprendre qu’il est le meurtrier d’un jeune prince. Manipulant aisément Aldobrando, il lui fait endosser son méfait. Emprisonné, celui-ci sera de nouveau dupé par un faux détenu à la solde du roi. Le monarque quant à lui, entouré de conseillers avides de pouvoir, ne voit pas les manigances qui se trament à ses dépens. Entre-temps, Aldobrando parviendra à s’échapper pour mieux replonger dans les ennuis, guidé par un sens du devoir qu’on ne lui soupçonnait pas.

La geste d'Aldobrando

Farce noire

Gipi, c’est bien connu, n’est pas le roi de la gaudriole. C’est donc avec plaisir qu’on découvre dans son scénario la dose d’humour nécessaire à l’allègement d’une histoire qui ne démarre pas vraiment dans le registre zygomatique. La trame narrative riche en rebondissements prend la forme d’une fable cruelle où l’auteur joue avec tous les poncifs du genre, les mélangeant habilement, évitant ainsi la sempiternelle aventure chevaleresque. On est dans du Shrek version DreamWorks qui a dépassé le stade anal, mixé avec un Grand Pouvoir du Chninkel se prenant moins au sérieux. Critone, dont le dessin classique est plus relâché, se permet quelques caricatures grotesques, achevant de sortir le récit du côté obscur dans lequel il semble pourtant bien englué. Le roi, minable petit ventripotent, est particulièrement répugnant, tout comme l’inquisiteur manipulateur, Messire Gueulevice, avec son nez cassé et sa mâchoire prognathe. Une très belle surprise venant de ces deux auteurs.

Aldobrando

De Luigi Critone et Gipi, éditions Casterman. 208 pages.

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