La Folie Hölderlin

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Les prises de position tranchées de Giorgio Agamben à l’encontre des mesures gouvernementales prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19 lui ont valu les pires insultes -et les soutiens les plus embarrassants. Pour beaucoup, elles ont constitué le prétexte d’un virage à 180 degrés: parce qu’il avait pris fait et cause contre le pass sanitaire ou les cours par Zoom, le chéri des tenants d’une certaine radicalité de gauche était devenu infréquentable. C’est un signe des temps: un mot de travers sur un sujet d’actualité vaut désormais annulation d’un travail en cours depuis de longues décennies, qui a changé notre compréhension de pans entiers de notre héritage politico-philosophique. Ce travail, pourtant, est loin d’être terminé. Tandis que la pandémie faisait rage, Agamben continuait à explorer la machinerie théologique et juridique structurant notre relation à la réalité- ou bien à autopsier une série de figures de la culture dont les énigmes résistaient à notre compréhension. La Folie Hölderlin est de ces autopsies. Pour comprendre le lent effondrement mental de celui qui fut le poète allemand le plus énigmatique de la modernité (et le plus fascinant pour les penseurs) -il passa pour fou la seconde moitié de sa vie (36 ans!)-, il fallait une enquête à nouveaux frais, refusant le surplomb de l’interprétation comme les petits arrangements de la biographie. Il fallait, dit Agamben, une sorte de chronique -une ligne du temps dont les dates, scandées comme des refrains, donnent à chaque fois l’occasion d’une glose limitée à l’événement qu’elles marquent. Le but de cette narration implosée, sans suite, est de répondre au voeu, formulé par Hölderlin lui-même, de redonner sa dignité à un certain « comique »: le comique de la vie quotidienne, en tant qu’elle vaut toujours davantage que ce qu’on en dit. Que le plus insignifiant puisse devenir  » infiniment signifiant » et fournir la clef d’une existence irréductible à la solitude et à la folie, tel est le pari de ce livre somptueux, qui devrait faire taire les Tartuffe.

La Folie Hölderlin

De Giorgio Agamben, éditions Armand Colin, traduit de l’italien par Jean-Christophe Cavallin, 240 pages.

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